Homélie du 5e dimanche de Pâques
« Celui-là porte beaucoup de fruit »
Quelle que soit notre condition, nous avons tous soif d’être féconds. Bien sûr, ceux qui sont mariés désirent des enfants, cependant la fécondité n’y est pas limitée : le travailleur veut que son action ait un impact, l’enseignant que sa parole ait de l’influence, l’impotent souffre non seulement de sa maladie mais aussi du sentiment de son inutilité. Nous désirons tellement être féconds que nous pouvons nous perdre en fuyant en avant. Nous plongeons alors nos forces dans la bataille. Suivant nos capacités et nos qualités, nous sommes capables de réalisations parfois époustouflantes : en une dizaine d’années Alexandre bâtit un empire. Il faut certainement se demander ce qu’il en reste aujourd’hui mais la question véritable est de savoir ce qu’il en restera dans l’éternité, car là et là seulement est la vraie fécondité.
À quoi bon construire un empire s’il est démantelé par la mort ? À quoi bon donner vie à des enfants si ce n’est pour les voir entrer au ciel ? À quoi bon travailler si nos œuvres n’ont aucun écho dans l’éternité ? Jésus nous enseigne le secret ingrédient qui donne un fruit éternel à l’action humaine. « Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit » ; là où nous sommes tentés de pousser vers l’extérieur pour porter davantage de fruit, Jésus nous invite à plonger à l’intérieur. Plutôt que de tirer sur les branches, il nous demande de tout miser sur les racines.
Cela demande parfois d’agir à l’inverse de ce qui nous semble efficace. Là où nous voudrions nous jeter sans réserve dans l’action, au moment même où il nous semble que nous n’avons pas le temps, nous arrêter pour le prier, pour nous en remettre à lui. Ces heures apparemment perdues pour le monde seront celles qui auront vraiment compté pour enraciner nos vies en Jésus et leur faire porter un fruit qui passe la mort.
« Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit ». Le rayonnement de la gloire de Dieu passe par Charles de Foucauld mourant seul et ignoré, tué à la porte de son ermitage dont la vie immergée en Jésus sera pour beaucoup la source d’une union plus forte à Dieu ; par Monique dont le fils Augustin finit par se convertir après que sa mère a passé tant d’années à espérer patiemment et à prier ; par ces lumières qui s’allument un peu plus tôt que nécessaire chez les chrétiens alors qu’ils prennent sur leur sommeil pour être quelques instants avec leur Seigneur au petit matin avant de partir travailler. Nous sommes les sarments de la vigne, le Christ est la vigne, en lui et en lui seulement, nous porterons vraiment du fruit. Nul n’est exclu de cette fécondité. Les apparences sont trompeuses et nous aurons certainement bien des surprises en découvrant au ciel le fruit porté par la prière d’un malade apparemment inefficace. Comme il a fait de son fils rejeté par les hommes la pierre d’angle de la cité des cieux, le Père rend féconde toute vie qui s’offre à lui. Celles qui semblent les plus insignifiantes aux yeux des hommes seront sur les remparts de la Jérusalem nouvelle les pierres précieuses dans lesquelles rayonnera sa gloire. Amen.