Homélie du dimanche des Rameaux
« Les grands prêtres se disaient : ‘Pas en pleine fête’ »
Cinq jours séparèrent le « Béni soit le roi d’Israël ! » du « Crucifie-le ! » que nous avons vécu en une demi-heure dans cette cérémonie. C’est parfois plus court encore dans notre vie où un instant peut nous faire passer de l’un à l’autre, du succès à l’opprobre, de la gloire à la déchéance, de la lumière aux ténèbres, de la joie la plus pure à l’accablement le plus total. À la rencontre succède la séparation, à la joie du don l’épreuve de la fidélité, aux dialogues vrais et profonds, les incompréhensions les plus inattendues, etc. Dans les instants de bonheur, nous oublions les douleurs ; dans les angoisses, nous devons faire effort pour nous souvenir de l’allégresse passée qui nous semble si légère en comparaison du poids du jour.
Avec ces hauts et ces bas, nos vies semblent discontinues. Au matin, la paix, au soir la tristesse, entre les deux nous sommes passés par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Il faut avoir vécu cette apparente incohérence pour comprendre ce que Jésus a traversé et ne point s’en étonner. Acclamé puis conspué, il vit ce que nous vivons, il embrasse nos vies dans toutes leurs dimensions.
À vrai dire, seule la fin donnera sens à ces moments si contradictoires, seul le bout du voyage reliera ensemble le bonheur et l’épreuve et nous en donnera le fruit. Nos succès et nos échecs, nos joies et nos douleurs, nos angoisses et nos espérances ont ceci de commun qu’ils sont la porte du ciel.
La joie nous oriente vers la seule joie qui vaille : celle qui durera. Par son caractère éphémère de parfum que l’on craint d’éventer, elle nous rappelle qu’elle ne peut être que reçue et que seul le face-à-face avec l’éternel nous la donnera vraiment. Jésus accepte aux Rameaux les louanges des hommes, il ne fait pas semblant. « Hosanna, béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » : il reçoit les hommages adressés à l’envoyé de Dieu. En cette entrée triomphale à Jérusalem, la foule, les disciples, Jésus vivent une préfiguration de l’entrée triomphale à la suite du Christ dans la cité des cieux. En acceptant l’acclamation de la terre, Jésus l’oriente vers le ciel. Il ne se l’attribue pas, il la tourne vers le Père et il nous apprend comment vivre tout succès, toute joie, comme une ouverture vers le Glorieux, comme un appel à la gloire éternelle.
Quelques jours plus tard, viennent l’épreuve, la douleur et finalement l’échec. Le salut que Jésus apporte n’est pas reçu, il ne sert à rien, il s’offre dans le vide, il pardonne à des hommes qui ne veulent pas de ce pardon. Sa souffrance, Jésus demande à son Père de la tourner vers les autres. Il en fait une source de bonté pour ceux qui l’entourent ; à ceux qui l’invitent à penser avant tout à lui-même – « Sauve-toi toi-même » – il répond en s’offrant à eux davantage et en leur donnant son esprit. Les plaies dont nous avons marqué son corps deviennent pour nous source de vie. Jésus refuse d’entrer au ciel sans nous et vient nous chercher dans nos défaites. « Plutôt me perdre avec eux que me gagner sans eux » semble sa ligne de conduite. Il nous enseigne ainsi comment nos épreuves et jusqu’à nos échecs peuvent faire grandir en nous un cœur véritablement compatissant pour les autres.
Aujourd’hui, ces instants disparates de nos vies sont encore éparpillés et nous peinons à voir l’œuvre du Seigneur à travers les ombres pesantes et les clartés éphémères de l’existence d’ici-bas. La lumière divine seule nous donnera de voir comment de succès en échecs, de victoires en défaites, Jésus édifiait en nous un seul et même triomphe, celui du matin de Pâques, celui de la rencontre finale, celui qui nous donnera de recevoir la joie éternelle. Amen.