Homélie du 4ème dimanche de carême
Ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé
Le serpent d’airain élevé dans le désert par Moïse pour que ceux qui le regardent soient guéris de la morsure des serpents était une image du Fils de l’homme souffrant, élevé sur la croix pour que ceux qui le regardent soient guéris de leur blessure. L’un et l’autre invitent le souffrant à lever les yeux, à détourner son regard de ses propres plaies pour l’orienter vers le haut. Sans pour autant perdre de vue notre misère, nous la relions ainsi à la douleur d’un autre ; car, pour recevoir le salut, quelque chose se joue dans la relation que nous entretenons avec nos propres souffrances qui ne soit ni déni ni complaisance, regard ni hautain ni emprisonné dans ce que nous sommes.
L’obligation de lever notre regard vers la Croix n’est pas anodine. Le mouvement du corps entraîne avec lui le cœur et l’âme. Tandis que le regard baissé nous attire vers la terre et sa pesanteur, nous enferme dans une complaisance malheureuse envers nos plaies, lorsque nous levons la tête pour nous tourner vers le ciel, déjà nous sentons que nous valons plus que celles-ci.
En effet, il ne s’agit pas simplement de lever les yeux mais de « regarder celui que nous avons transpercé » (Jn 19, 37). Si notre regard s’élève ainsi ce n’est pas sans but : nous nous tournons vers celui qui a souffert pour nous et qui peut donner sens à notre souffrance. Celui que nous sommes ainsi appelés à regarder n’a rien pour attirer le regard, il est miséreux comme nous, il est blessé comme nous, il souffre comme nous. Il ne diffère de nous que par une chose : il a choisi de venir souffrir par amour de nous, pour nous rejoindre, pour que l’isolement de notre souffrance soit brisé.
C’est la raison pour laquelle ses plaies sont ouvertes. Il n’y a aucune dureté en lui, il reçoit donc sans armure chacune des blessures qui lui est infligée. Sans parler des douleurs physiques, nous pouvons imaginer combien chaque rebuffade des soldats, chaque insulte de la foule, chaque trahison de ses disciples est venue le transpercer, lui qui ne leur opposait aucune défense, aucune revanche. Plus encore, il ne se referme pas sur ses douleurs mais fait d’elles autant d’occasions de compassion pour les hommes qui le blessent (Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font), et les quelques fidèles souffrant à ses pieds (Femme, voici ton fils, etc.). Comme ses bras, son cœur souffrant reste ouvert. Ses douleurs accueillent nos douleurs pour les y cacher, les y soigner, les y guérir et nous rendre à la vie.
Lorsque nous regardons le Fils de l’homme élevé sur la croix, nous sommes arrachés à notre souffrance car nos yeux se détournent d’elles et pourtant nous n’en sommes pas séparés car c’est elles que nous retrouvons dans les plaies de notre Sauveur. Nous continuons de souffrir mais nous ne sommes déjà plus seuls, nous trouvons en lui notre compagnon de souffrance. Plus qu’un compagnon, il est le chemin, il ouvre un avenir à notre souffrance ; car en nous enseignant à laisser comme lui nos plaies ouvertes et sans remparts, en les ouvrant délicatement pour qu’elles deviennent à leur tour refuge pour nos frères, il leur donne une fécondité inattendue. Amen.