Silence

Homélie du 6e dimanche du temps ordinaire

Ne dis rien à personneneige01

L’ordre du Christ est étonnant. Pourquoi ne pas laisser le lépreux annoncer sa guérison ? Jusque-là, ainsi que le prescrit la loi et pour éviter la contagion, le lépreux devait au contraire crier partout où il se rendait : « Impur ! Impur ! » Le lépreux est l’homme qui proclame en tous lieux son opprobre. Il est donc assuré de ne jamais pouvoir entrer en relation avec les autres. Désormais guéri, il pourrait faire profession de miraculé en annonçant à tous le miracle, il pourrait enfin passer de la honte à la gloire. Voilà exactement ce que Jésus veut lui éviter, car ce serait substituer un isolement à un autre comme nous allons le voir.

Le miraculé ne respectant pas l’ordre du Christ, la célébrité s’attache non seulement à lui mais aussi au Seigneur qui se trouve obligé de fuir « dans les endroits déserts ». Paradoxalement, ce que fuit là le Christ, c’est la solitude. C’est aussi la solitude qu’il voulait épargner au malade en le guérissant. Le « va te montrer au prêtre » signifie : sois réconcilié avec les hommes, retrouve ta place dans le peuple. Jésus ajoute : « ne dis rien à personne » afin que le lépreux puisse retrouver une relation véritable avec les autres. En effet, le Christ sait que la renommée est une autre solitude : elle empêche de rencontrer les autres en vérité car elle précède celui qui est célèbre en tout lieu, si bien qu’on ne viendra pas à lui pour ce qu’il est mais par curiosité, pour voir le prodige. La réputation, qu’elle soit bonne ou mauvaise, n’est pas l’alliée de la relation ; d’ailleurs, nous n’avons pas de réputation auprès de nos amis, ils nous connaissent par-delà la notoriété. Être libéré de la solitude, c’est être en relation avec des personnes pour lesquelles le prestige ou l’opprobre ne comptent pas.

Si le lépreux avait écouté, il aurait donc entendu Jésus l’inviter à faire connaître sa guérison d’une manière qui lui aurait permis d’entrer dans ce type de relations et d’être vraiment libéré de sa solitude. En effet, Jésus ajoute : « donne pour ta purification ce que Moïse a prescrit dans la loi : ce sera pour les gens un témoignage ». L’ordre semble contradictoire avec le premier. Ne rien dire à personne et pourtant témoigner ? C’est que le témoin ne parle pas de lui-même, il proclame les merveilles d’un autre. Le lépreux guéri était invité à reconnaître que sa guérison venait de Dieu et à faire entrer par son témoignage les autres dans la même action de grâce. Le parcours que lui propose Jésus est comme court-circuité par l’annonce qu’il en fait, il se fait connaître et fait connaître Jésus mais sans s’être reconnu comme sauvé par Dieu. Il empêche donc le miracle de porter son fruit ; en n’allant pas au bout, en ne reconnaissant pas que le don vient de Dieu, il en fait une vanité et ne peut être véritablement réconcilié avec les hommes.

Il s’interdit ainsi de devenir témoin car la parole du témoin éclot dans le silence de la prière. Là, nous apprenons ce que nous devons à notre Créateur et Sauveur ; là, nous en recevons davantage encore ; là, le Seigneur emplit de lui notre misère ; de là peut naître un témoignage qui porte du fruit. Nous pouvons faire tout le bruit possible autour de nous, ce ne sera que de la vase agitée, des feuilles mortes dans le vent qui finiront par retomber ; passés au feu de la prière, ce que nous proclamerons des bienfaits de Dieu, portera dans notre cœur et celui des autres un fruit d’éternité. Amen.