L’ignorance étoilée

IMG_0097Homélie de l’Épiphanie

« Par révélation, il m’a fait connaître le mystère du Christ. »

Au jour de l’Épiphanie, nous célébrons la manifestation que Dieu a faite de lui-même. Les orientaux y célèbrent le baptême du Christ, nous lui préférons sa révélation aux mages ; à ces deux événements, nous ajoutons le premier signe que le Christ a opéré dans sa vie adulte : le miracle des noces de Cana. Ces trois évènements apparemment si différents sont reliés car ils sont les premières manifestations de Dieu en Jésus-Christ. Pourquoi donc le Seigneur a-t-il tant tardé à se révéler, pourquoi tarde-t-il tant à se donner à nous ? Pourquoi est-il si mystérieux ?

Pour que nous puissions recevoir cette révélation, il ne suffit pas qu’elle se donne, il faut encore que nous puissions l’accueillir. Dieu n’est pas simplement plus grand que nous, il nous est incomparable ; on ne peut donc espérer le connaître s’il ne nous rend pas lui-même aptes à le recevoir. Pour comprendre la théorie de la relativité restreinte – ou bien même le théorème de Pythagore –, il ne suffira pas que l’on nous montre le tableau noir sur lequel ont été écrites les équations qui en donnent le raisonnement, il nous faudra un bon maître pour nous guider à travers elles et du temps pour que nos esprits soient petit à petit pénétrés de ce qu’elles décrivent et qu’ils arrivent à en être illuminés. S’il en va ainsi des choses de la terre que notre esprit est à même d’assimiler, cela est d’autant plus vrai de Dieu qui est incommensurable. Il ne suffit pas que le Créateur se dévoile, qu’il se montre pour que nous soyons éclairés ; nous avons besoin qu’il rende notre cœur capable de lui. Comme le père fait peu à peu connaître à son fils ce qu’il a lui-même reçu de son propre père : au fil des ans chaque parole fait grandir le cœur du fils pour lui permettre d’entendre la suivante, si bien que la parole du père transmet la sagesse tout autant qu’elle dispose à la recevoir.

Le miracle de l’Épiphanie est que des hommes aient pu être illuminés par la présence de Dieu sans en être éblouis, que Dieu nous rende prêts à accueillir sa révélation en se manifestant. Voilà ce qu’il accomplit en se faisant l’un de nous : il vient nous prendre par la main, se donner à nous tels que nous sommes capables de le recevoir pour nous conduire pas à pas jusqu’à sa hauteur.

Désormais, Dieu n’est plus pour personne un étranger. « Toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse dans le Christ Jésus ». Le Seigneur est proche de chacun de nous, il s’est donné à connaître pour que nous puissions nous laisser entraîner par lui au-delà de nous-mêmes. À mesure que nous connaissons le Seigneur, qu’il devient pour nous un intime, plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes, c’est nous qui grandissons à son contact en même temps que nous découvrons qu’il est toujours plus grand. Les mages sont venus l’adorer mais ils ne sont pas repartis avec l’enfant ; on ne se saisit pas du mystère, on en est saisi ; on ne met pas la main sur la lumière, on en est illuminé. Amen.

« Dieu est pour nous l’être le moins étranger (interior intimo meo) et le plus inconnu (personne n’a vu Dieu). Inversement, nous connaissons très clairement des choses qui nous sont profondément étrangères : les lois de la matière, le monde des chiffres etc. Aussi faut-il traiter Dieu comme un inconnu et non comme un étranger. On ne peut participer à son mystère qu’en renonçant à le dissiper. » Gustave Thibon, L’ignorance étoilée