Homélie de Noël – Messe des familles
« Un enfant nous est né »
En venant parmi les hommes, la première chose que rejoint le Seigneur, c’est l’enfance. C’est là que nous pouvons le retrouver. « Si vous ne changez pas pour devenir comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux » (Mt 18, 3). Si nous nous présentons un jour devant le Seigneur, ce sera comme des enfants. Chacun de nous a été un enfant et cet enfant est comme son père, sa racine. Pour rencontrer l’enfant de la crèche et recevoir sa lumière, tournons-nous vers la source de notre existence d’aujourd’hui et regardons l’enfant. Revenons au monde perdu de notre enfance pour tâcher d’y chercher Jésus, revenons-y sans illusions et souvenons-nous de ses joies autant que de ses peines.
L’enfance est simple, cela donne à ses joies une grande pureté mais rend aussi ses douleurs très cruelles, d’autant qu’elles sont souvent considérées par les adultes comme des riens. L’enfance est spontanée car elle n’a pas de passé, et, comme nous plaçons l’horizon de notre futur à la même distance que celui de notre mémoire, elle ne se donne pas non plus d’avenir, elle ne connaît que le présent. L’enfance est sérieuse, il faut être adulte pour la croire insouciante et prendre avec légèreté ce qu’elle regarde avec gravité – un coquillage ramassé, un jeu d’Indiens, une amitié vieille d’un jour. L’enfance est fragile et vulnérable, elle a besoin des adultes pour maintenir ses frontières et permettre à chaque enfant de se fortifier sous un toit protecteur avant qu’il ait à affronter les tempêtes de notre monde.
Tous n’ont pas eu la chance de connaître ce refuge, soit parce que les adultes ont manqué à leurs devoirs, soit parce qu’un cyclone plus fort qu’eux est venu détruire l’abri qu’ils avaient ménagé pour nous. Que ce soit par la violence d’un tel ouragan ou par le désir de grandir enfin, violemment ou paisiblement, soudainement ou pas à pas, nous avons quitté la maison de notre enfance. Certains y ont traîné un peu trop longtemps et il a fallu qu’on les mette dehors ; d’autres auraient aimé avoir la chance d’y rester plus longuement mais ont assisté à l’incendie qui a brûlé leur enfance en les jetant trop jeunes dans le froid de l’existence des grandes personnes.
En se faisant petit enfant, Jésus nous invite à l’enfance ; or, nous ne savons pas très bien y aller en quittant les hardes de la vie adulte. Comme George Banks dans Mary Poppins, au moment où nous nous baissons pour trouver l’enfance, notre trop grande taille nous gêne et nous nous cognons contre le linteau de la cheminée. C’est ce qui nous arrive lorsque nous nous penchons vers l’enfance avec nostalgie ou bien, au contraire, lorsque nous craignons de nous y pencher car ses souvenirs nous déchirent. Nous entretenons avec notre enfance une relation mêlée de lumière et d’ombre. Ce parcours vers l’enfance nous enseigne une chose : nos tentatives pour la trouver par nous-mêmes sont vouées à l’échec car nous nous heurtons au mur de nos blessures, de nos renoncements et de nos compromissions, revenir sur nos pas est donc impossible. Comment pourrions-nous d’ailleurs capter de nous-même l’enfance alors qu’elle est l’âge qui reçoit et s’abandonne ? Il ne s’agit d’ailleurs pas de raviver en nous une enfance passée mais d’accueillir l’enfant Jésus dans son inouïe nouveauté.
Il nous attire jusqu’à l’abaissement de sa crèche pour que nous puissions recevoir de ses mains de nouveau-né la lumière si pure, si simple de l’enfance. L’enfant Jésus est le seul qui peut éveiller en nous l’enfance endormie, nous rendre à sa simplicité, sa nouveauté, sa gravité et sa fragilité. C’est le cadeau que je lui demande pour chacun de vous ce soir et en particulier pour ceux qui, par la faute des adultes ou malgré leurs efforts, ont été brisés dans leur jeune âge : que Jésus leur donne l’enfance qu’ils n’ont jamais eue. Amen.