Homélie du 33e dimanche du temps ordinaire
« Il appela ses serviteurs et leur confia ses biens »
Malgré ce qu’un jeu de mots facile et malheureusement trop usité pourrait nous laisser entendre, les talents dont parle Jésus ne sont pas nos qualités ; en effet, les hommes n’ont pas attendu le Christ pour avoir des qualités et les faire fructifier ou les gâcher. Au jour de son Ascension, ce que le Seigneur confie à ses disciples, c’est la connaissance de Dieu – connaissance non seulement par l’intelligence des écritures mais connaissance réelle et personnelle par la foi en Christ et sa rencontre dans les sacrements.
Nous avons sans doute bien des qualités mais le trésor le plus précieux que nous ayons, c’est cette foi. Le Seigneur nous l’a confiée à la fois pour nous-mêmes et pour les autres. Cela correspond à ce qu’elle est car elle meurt d’être cachée alors qu’elle grandit d’être semée.
Le serviteur qui ne reçoit qu’un seul talent était-il angoissé de ne pas avoir une foi assez grande pour la partager ? Pourtant, à son retour, le maître fait le même compliment à celui qui en avait deux qu’à celui qui en avait cinq. Autrement dit, ce qui donnera à notre foi de parvenir à son but, ce qui lui ouvrira les portes du Royaume, c’est de l’annoncer, la livrer sans que sa faiblesse, son ignorance ou son insuffisance ne nous arrêtent. D’ailleurs, l’expérience prouve que c’est en l’ouvrant, en la partageant que nous nous poserons davantage de questions, que nous trouverons les réponses à celles qui nous habitaient, que nous serons amenés à devoir être plus fidèles à l’appel qu’elle fait retentir en nous, etc. Ainsi, en risquant notre trésor au travail, en famille, dans le train ou sur la place publique, nous le verrons fructifier. La vie de l’Église est missionnaire ; la mission la fait grandir non seulement parce qu’elle lui agrège de nouveaux enfants mais aussi parce qu’elle lui donne de croître intérieurement : la parole risquée porte du fruit pour celui qui entend et pour celui qui parle.
« Longtemps après », c’est-à-dire lors du jugement, le troisième serviteur se présente avec son unique talent encore maculé de la terre dans laquelle il l’avait caché. Il prétend alors que le maître est dur et que c’est la raison pour laquelle il n’a pas osé risquer son argent. Ce à quoi le Seigneur répond en lui montrant la banque. En effet, s’il était dur, il aurait lui-même placé son argent à la banque plutôt que de le confier à la liberté des hommes. C’est par miséricorde qu’il nous fait confiance.
En regardant la manière d’agir de Dieu, nous nous rendons compte que ce qu’il nous demande de faire est ce qu’il fait lui-même. De même qu’il a risqué sa personne même pour que nous le connaissions, il nous appelle à nous risquer pour que continue à rayonner sa lumière en nous et sur les autres.
Plutôt que de nous sauver sans nous, il compte sur nous, il s’appuie sur nous malgré notre inconstance, il fait le choix de passer par notre faiblesse pour le salut du monde. Celui qui se refuse à prendre sa place dans ce mouvement de la vie qui, partant du Père, nous parvient par le Fils pour que nous la portions au monde, voit la vie même pourrir en lui comme une source croupit de ne pas circuler. Au contraire, celui qui, connaissant sa faiblesse, transmet le don qui lui a été fait voit ce don s’augmenter : il est de plus en plus illuminé du Seigneur tout en rayonnant davantage de son amour pour tous. Amen.