Silence coupable

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Homélie du 28e dimanche du temps ordinaire

« Mon ami, comment es-tu entré ici ? »

À l’invitation large et ouverte – « Tous ceux que vous trouverez, invitez-les à la noce » – succède l’expulsion de l’un des nouveaux venus – « Jetez-le dans les ténèbres du dehors ». Cette contradiction se trouve résumée par cette étonnante morale : « Beaucoup sont appelés, mais peu sont élus ». ­Le maître veut-il donc accueillir ou sélectionner, veut-il remplir la salle du festin ou bien n’y recevoir que des invités triés sur le volet ? C’est en fait le même amour qui appelle et qui élève, qui pardonne et qui exige, qui comble ou qui révèle notre vide.

Le Seigneur envoie d’abord ses serviteurs au loin pour annoncer la bonne nouvelle à tous : son amour ne pose aucune condition à l’appel qu’il nous lance. Il précède notre capacité à lui répondre en nous invitant à le rejoindre. Le texte nous précise que les serviteurs rassemblent « les mauvais comme les bons ». C’est bien ce que nous sommes : bons et mauvais. Il n’y a pas de pré-sélection dans l’annonce de l’évangile. Certains seront touchés parce que la vie droite qu’ils menaient déjà les ouvrait naturellement à reconnaître en Jésus-Christ la bonté même. D’autres entreront dans l’église parce que la rencontre avec ce même Christ aura brûlé en eux le mal et les en aura délivrés. Le plus souvent, il y aura les deux : l’Évangile correspondant à ce qu’il y a de plus lumineux en nous tout en nous libérant du péché qui nous entrave.

Tous sont enfin rassemblés et le maître vient « examiner » les convives. Bien sûr, le regard divin ne s’arrête pas à l’apparence, il discerne le fond du cœur et c’est là que manque le vêtement de noce. Voilà que l’exigence amoureuse de Dieu se fait aussi haute qu’était large son appel. Tous sont les bienvenus auprès de Dieu mais nul ne s’y tiendra sans être changé. Ce qui perd l’homme interrogé c’est son silence et non son habit. Face à la question du roi, il se tait. Comment est-il entré sans le vêtement adéquat ? Par la miséricorde du roi, aurait-il pu répondre, cette même miséricorde reconnue et acceptée l’aurait alors revêtu de splendeur.

Au contraire, son silence le plonge dans les ténèbres, c’est-à-dire dans l’enfer. Cet enfer c’est d’être au festin sans le vêtement de noce, c’est d’être auprès de Dieu comme s’il n’était pas là, comme si on ne lui devait rien. Nous n’avons donc pas à redouter Dieu qui nous accueille et souhaite nous revêtir de l’habit de noce mais nous avons à nous craindre nous-mêmes. En effet, notre expérience quotidienne nous enseigne suffisamment que nous sommes enclins à nous rebeller là où notre bonheur serait dans l’abandon, à dire non quand la joie est dans le oui, à être incohérents en faisant l’inverse de ce que nous voulons vraiment et à agir à l’encontre de l’appel qui résonne en nous. Nous sommes donc bien capables de vouloir aller au ciel sans prendre la mesure de la conversion que cela implique.

De son côté, le Père ne met pas de borne à son appel, il vient nous chercher, nous, bons et mauvais. Cependant, ce n’est pas pour nous laisser dans cet état misérable, au contraire, il nous invite pour nous recréer et nous rendre aussi beaux que son Fils. Soyons bien persuadés que nul ne pourra contempler Dieu et siéger à son festin sans s’être laissé envahir de sa lumière éclatante. L’enfer est une possibilité pour chacun de nous, nous y échapperons en nous remettant entre les mains de Dieu qui, seul, a le pouvoir de nous habiller de sa lumière. Amen.