Homélie du 13ème dimanche du temps ordinaire
« Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi
n’est pas digne de moi ;
celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi
n’est pas digne de moi »
Rien n’est jamais acquis à l’homme. Tout ce qui n’est pas donné est perdu. La vie pourrit de n’être pas livrée, elle grandit d’être offerte, telle la manne que les Hébreux recevaient chaque jour sans pouvoir la garder pour le lendemain. En abordant cette question par la filiation, Jésus révèle la manière dont notre vie sera féconde.
Avant de donner la vie, nous l’avons reçue puis nous l’avons risquée. L’enfant sort du ventre maternel, c’est le premier départ, la première aventure, elle est porteuse de toutes les suivantes. Celui qui aime le sein de sa mère plus que l’incertitude de l’avenir ne vivra pas. Depuis ce choix initial en passant par les premiers pas, la première chute, la première rentrée à l’école, la première classe verte, le premier amour, jusqu’au départ du foyer de nos parents, l’appel du large a résonné en nous plus fort que l’abri que pouvait être l’amour de nos père et mère. Il a fallu que cet abri soit à la fois assez solide et suffisamment ouvert pour que nous trouvions en nous la force et le désir de partir. « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi », la phrase se tient sur le seuil du foyer familial. Dieu nous y dit qu’il nous a donné la vie par nos parents pour que nous partions.
Si nous avons entendu cet appel, nous avons aussi à notre tour été père ou mère. La fécondité naît de ce départ. Elle est incarnée de manière toute particulière dans la fécondité biologique mais ne lui est pas restreinte. Dès lors que nous n’avons plus attendu l’approbation de notre père pour assumer nos responsabilités, dès lors que nous n’avons plus réclamé les bras de notre mère pour ouvrir nos bras à d’autres, nous avons commencé d’être fécond et nous avons alors entendu l’autre appel : « Celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi, n’est pas digne de moi ». Tandis que nous traversions les étapes qui faisaient de nous un homme, une femme, un père, une mère, nous n’imaginions pas ce que vivaient nos parents. Devenus féconds à notre tour, voilà que nous l’éprouvons de l’intérieur. Nous avons définitivement changé : jusqu’à sa mort la mère porte en elle le fruit de ses entrailles ; jusqu’au dernier jour, le père tressaille à la voix de son enfant. En eux, une blessure d’amour est ouverte. Être père et mère, c’est aimer jusqu’à ce point-là : sans chercher à refermer la blessure, sans oublier, sans retenir. Les parents ne vivent plus que pour leurs enfants, mais les enfants ne vivent pas pour leurs parents. Notre fécondité nous exhorte à n’être plus que des bras ouverts, un cœur disponible, un silence qui permette à l’enfant de nous dépasser, d’entendre l’appel qui résonne en lui et d’aimer Dieu. Amen.