Sur la chute des cheveux

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Homélie du 12ème dimanche du temps ordinaire

« Pas un seul ne tombe à terre sans votre Père »

Des moineaux tombent du nid, et il n’en est pas un dont le Père ne se soucie. Si bien que Jésus nous dit – suivant l’original grec – : « Pas un seul ne tombe à terre sans votre Père ». Le Christ continue en parlant de nos cheveux : chaque cheveu qui touche le sol le fait silencieusement. En effet, l’homme atteint de calvitie devient chauve sans entendre ses cheveux tomber. Pourtant chacun d’eux, affirme Jésus, est connu aux yeux de Dieu et recueilli dans son éternité.

Pas un cheveu ne tombe à terre sans notre Père, c’est dire que pas le moindre des fruits de notre vie ne sera oublié. Cette affirmation va de pair avec le « ne craignez pas » répété. Jésus nous dit : Ne craignez pas de disparaître aussi silencieusement qu’un cheveu. Le martyre ne se présente pas comme une voie fructueuse et lumineuse, il n’est pas l’héroïsme d’actes éclatants. Avant d’être célébré, il est un sacrifice, une chute, un silence. Le père Jacques Hamel ignorait qu’il serait connu de tous, il est tombé sans bruit sur le sol, s’offrant plutôt que de renier le Seigneur. Pour un comme lui, combien d’autres ont été tués sans qu’on n’en fasse jamais plus de cas que de la chute de quelques cheveux ? Combien se sont privés d’une carrière pour être fidèles au Christ et ont renoncé par là même à toute reconnaissance ? Plutôt que de tenir contre le Père, ceux-là ont préféré tomber à terre avec lui. Il n’y a pas de christianisme sans qu’un jour de notre vie, nous soyons devant cette alternative.

Saint Thomas More, que nous fêtions ce jeudi, a essayé autant qu’il le pouvait d’être fidèle à son roi et à sa foi, dont le premier s’était depuis un certain temps détaché ; il y a réussi  jusqu’au jour où il a dû y renoncer car le serment que lui demandait son souverain était contraire à la foi qui l’animait. Ce jour-là, il a accepté de tout perdre – fortune, famille, carrière et jusqu’à sa vie même – plutôt que de se perdre. Il a même accepté de renoncer – et on peut imaginer que le démon a cherché à le tenir par cet argument – à l’influence bénéfique que sa place stratégique dans le Royaume d’Angleterre lui ménageait.

Nous sommes ainsi tendus entre Dieu et le monde et bien souvent nous faisons notre possible pour ne pas nous aliéner le monde afin de lui porter notre Seigneur et continuer à être pour les hommes des témoins. Néanmoins, il est des moments où notre fidélité au Christ nous oblige à être perdus aux yeux du monde, oubliés, inaudibles. « Ne craignez pas » de disparaître, d’être cachés, d’être ignorés, nous dit le Seigneur. « Vous valez bien plus qu’une multitude de moineaux », vous valez bien plus aux yeux de Dieu que vous ne vaudrez jamais aux yeux des hommes. Dans ce moment d’abandon, seule la remise entre les mains de Dieu est porteuse de fruits pour les siècles à venir. « Le sang des martyrs est semence de chrétiens », cette vieille phrase est de Tertullien et elle est illustrée encore aujourd’hui. Les carmélites de Compiègne, José-Luis Sanchez del Rio, Maximilien Kolbe, le père Popieluszko, tous ceux dont le sacrifice porte du fruit dans l’Église menaient un combat perdu d’avance et, tandis que le démon leur susurrait l’inutilité de leur offrande, seule la confiance dans leur Père entre les mains duquel ils tombaient à terre leur laissait espérer un autre avenir. Amen.