Homélie de la Pentecôte
« Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ? »
L’exclamation de ceux qui entendent les apôtres au jour de la Pentecôte manifeste l’action de l’Esprit Saint dans les cœurs. Le miracle des langues vient dénouer la malédiction de Babel. Parce qu’ils avaient voulu se construire sans reconnaître leur source, les hommes s’étaient trouvés divisés. La barrière des langues apparaissait alors comme le signe d’une humanité recroquevillée sur elle-même et, par conséquent, incapable de s’entendre ou de s’unir. Les langues ne sont ici que le signe le plus explicite d’une vérité plus générale car même quand nous parlons la même langue, c’est à travers bien des efforts, et non sans incompréhensions ni malentendus, que nous communiquons les uns avec les autres. Dans nos relations les plus intimes, ce travail s’apparente souvent au combat de Jacob avec l’ange, tant c’est au corps-à-corps de la parole que nous nous connaissons davantage. Cette recherche n’est jamais achevée et reste toujours fragile : il suffit souvent d’un léger soupçon instillé dans notre oreille pour que nous remettions en cause tout ce que l’autre nous a dit de lui-même.
Il en va ainsi de nos relations mais aussi de notre connaissance de Dieu. Nous avons tant de peine par nous-mêmes à comprendre notre prochain, comment espérer comprendre Dieu qui nous dépasse ? En ce jour de la Pentecôte, des hommes de toutes nations reçoivent non seulement des connaissances sur Dieu, mais, par elles, ils reçoivent aussi Dieu même. Le miracle des langues révèle que ce ne sont plus simplement des mots qui sont transmis au sujet de Dieu par les apôtres : c’est la Parole en personne qui vient habiter au cœur des auditeurs. Par la fragilité d’un discours, le Seigneur se rend présent comme il s’était incarné dans la vulnérabilité de la chair. Ce que ces hommes entendent passe par les mots et en même temps dépasse les mots prononcés.
Cette présence de Dieu en nous, voilà ce qui est définitif. Nous aurons de nouveau de la peine à comprendre, nous nous fourvoierons encore dans d’autres malentendus, certains enseignements évangéliques continueront à nous résister, cependant l’Esprit Saint est présent à notre cœur et y travaille. Depuis la Pentecôte de notre baptême et notre confirmation, Dieu n’est plus simplement à l’extérieur de nous-mêmes comme celui vers qui nous marchons péniblement, il est aussi celui qui, à l’intérieur, guérit ce qui est blessé et rend droit ce qui est faussé. Nous sommes désormais la maison de Dieu.
En retrouvant cette présence, nous retrouvons aussi la hauteur pour laquelle nous sommes faits et qu’aucune construction de nos mains ne pouvait atteindre. Il est une statue de Marie au croisement de la rue de Babylone et de la rue du Bac sous laquelle il est écrit : « l’original de cette image est un chef-d’œuvre si parfait que le Tout Puissant qui l’a fait s’est renfermé dans son ouvrage ». On peut en dire autant de nous. Nous sommes chacun une créature si belle que le Seigneur nous a choisi pour demeure ; mieux encore, nous tenons notre beauté de notre hôte et créateur. Nous n’avons pas à être à sa hauteur, c’est lui qui descend pour nous faire monter jusqu’à lui. Désormais, nous ne poursuivons plus la perfection comme quelque chose d’inatteignable en avant de nous, nous recevons la sainteté de la source qui coule en notre être. Relevant l’échec de la construction de Babel comme de la quête de Prométhée, le Seigneur fait descendre son feu pour établir l’Église. En restaurant chacun de nous, il nous rend capables d’aimer notre prochain. Malgré nos quiproquo, nos incompréhensions et jusqu’aux blessures que nous nous infligeons mutuellement, nous sommes les membres d’un seul corps par l’unique Esprit dans lequel nous avons été baptisés. La construction est commencée et le jour vient où cette unité sera parfaite. Amen.