De bas en haut

Homélie de l’Ascension

« Pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? »

Cette fête est celle du réel. Qu’est-ce qui est réel ? Qu’est-ce qui compte vraiment ? Certains se penchent vers la matière et la considèrent comme la seule réalité palpable. Ce qu’on voit de nos yeux, ce que l’on peut prendre dans nos mains, voilà, disent-ils, la réalité du monde, le reste est invention de l’esprit. D’autres, voyant le côté passager de toute chose matérielle, se tournent vers les réalités spirituelles et fuient la fugacité de ce monde.

PASSAGE_1617Le chrétien tient du ciel et de la terre car c’est bien dans ce monde que Jésus est apparu ressuscité : il  a parlé à ses apôtres, il a mangé avec eux ; ils ont contemplé son visage et aimé le son de sa voix.  Il n’a pas rechigné à une chair périssable, à des mots aussitôt dits aussitôt passés, à l’incertitude de notre histoire. La figure de Jésus-Christ a traversé les siècles et nous le voyons donc tel qu’il est : éternel et toujours vivant ; mais nous en oublions la fragilité de cet homme né il y a deux millénaires et le risque immense qu’il a pris de tout confier à la vulnérabilité de sa création. Rien ne garantissait que ses paroles soient reçues et transmises, elles auraient tout aussi bien pu se perdre dans le vent. Il aurait pu naître, grandir, mourir pour nous et que tout cela soit bien vite oublié : quelques croyants auraient porté une nouvelle à peine écoutée et l’Église serait mort-née. C’est d’ailleurs bien souvent l’impression que nous font nos tentatives d’évangélisation, nos entreprises de charité, et nous nous demandons : à quoi bon ? Cela porte-t-il du fruit ? Nos paroles et nos actes nous semblent bien dérisoires.

Or, la faiblesse des moyens employés par le Seigneur n’a d’égale que la puissance de sa victoire. Dieu connaît l’humanité : nous ne touchons l’invisible que par le visible, nous n’atteignons l’éternel que par l’éphémère. Nos connaissances les plus spirituelles sont nourries de ce que nous avons regardé et écouté. Nos amours sont charnels, ils demandent à entendre, voir et embrasser. Nos relations les plus précieuses n’ont tenu qu’à un fil, au hasard d’une rencontre et des circonstances. En se faisant chair, Jésus ne craint pas de confier sa vie à la contingence, et, en le parcourant lui-même, il nous réconcilie avec ce chemin de nos êtres qui va vers le ciel en passant par la terre. Nous ne sommes faits ni pour rester les yeux collés à la matière, ni pour nous en évader ; c’est en découvrant cette création que nous apprenons à contempler le ciel, c’est en étant incarnés que nous sommes spirituels, c’est en nous abaissant pour servir nos frères que nous sommes élevés à la hauteur divine ; et si Jésus est exalté plus haut que les cieux en ce jour, c’est parce qu’il est descendu jusqu’au plus profond du tombeau.

Par Jésus, la voie qui mène au ciel est ouverte, nous retrouvons le mystique par le sensible. Le dernier commandement de Jésus le manifeste : Faites des disciples, dit-il, et comment ? En allant, baptisant, enseignant ; autrement dit c’est en marchant, en versant de l’eau et en parlant que les apôtres porteront le salut au monde. L’Esprit Saint, qui est la présence même de Dieu à nos êtres, nous a été donné par ces simples moyens : d’autres sont venus jusqu’à nous, ils nous ont parlé et nous ont baptisés. Par eux et avec l’aide de l’Esprit Saint, nous avançons à la suite du Christ. Cette fête de l’Ascension est la célébration de l’inauguration de cette voie sur laquelle nous marchons et qui s’accomplira au ciel avec lui. Cette route mène au ciel par le bas, par ce monde vers lequel nous sommes appelés à notre tour à aller, baptiser, enseigner pour l’entraîner dans le sillage du Christ. Alors l’éphémère de nos vies mènera à l’éternité de sa présence, lui qui est avec nous tous les jours jusqu’au jour où il sera tout en tous. Amen.