Thomas

489315830.jpgHomélie du 2ème dimanche de Pâques

« Alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint. »

Jésus vient et se tient au milieu de ses apôtres alors que toutes les portes sont closes. Il les délivre de leur enfermement. Or, Thomas, absent, est resté extérieur à cette libération. Il y a dans sa protestation à la fois le refus de croire et l’espérance que la bonne nouvelle soit vraie, tellement vraie que tout soit dénoué en lui. C’est pourquoi il réclame la réalité de la résurrection, il ne se contentera pas d’un vague espoir, de l’image nébuleuse et lointaine de Jésus. Si Jésus est ressuscité, il faut que ce soit le crucifié lui-même, portant en sa chair les marques de la Passion.

L’exigence de Thomas est à la hauteur de son attente déçue. Il avait encouragé les disciples à suivre le Christ en disant : « Allons à Jérusalem pour mourir avec lui » (Jn 11, 18), or la mort de Jésus n’a pas été conforme à son idéal. Il signait pour un martyre plein de panache mais il vit son maître mourir ignominieusement, rejeté de tous et il le rejeta lui-aussi. Il était prêt à se donner mais pas à voir Jésus se vider ; pour qu’il le suive, il aurait fallu que Jésus garde quelque chose de sa beauté et de sa lumineuse dignité qui avaient attiré les apôtres à lui. Il était prêt à marcher derrière une lumière, non à emboîter le pas à un crevard. Au soir de l’agonie puis au jour de la crucifixion, il ne restait de Jésus rien d’attrayant. Tout ce que l’idéal renfermait de brillant et de désirable avait disparu sous les coups de fouet, les crachats, les cris de la foule, et l’offrande de Jésus se faisait entre des mains sales qui le déchirèrent sans même y prendre garde.

Thomas en fut désabusé ; il est le type même du déçu, étoffe dont on fait les cyniques. Aussi, son cri : « Si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, … » est un sarcasme qui, comme tout sarcasme, manifeste autant qu’il caricature son désir le plus profond. Découragé, il n’ose pas y croire ; mais s’il devait y croire, il ne voudrait pas d’une réalité moindre. Seule une beauté plus grande que ses désirs les plus fous pourrait réveiller en lui l’immensité d’un rêve qu’il s’interdit désormais d’avoir. Il a mis un couvercle sur son idéal, il a barré la porte de son désir ; tout est fermé en lui, son espérance est sous clef, d’autant plus verrouillée qu’elle était incommensurable.

Jésus ne se paye pas de mots, il ne prétend pas lui ouvrir le cœur par des mirages, il prend Thomas au sérieux et lui accorde précisément ce qu’il désire : il se donne à lui, lui ouvre ses blessures, lui présente l’amour qui jaillit de son côté. Par les mains ajourées de Jésus, la lumière jaillit à neuf dans l’âme de l’apôtre et, au milieu de son être jusque-là fermé, Jésus vient et se tient pour y faire renaître la vie.

Tout ce qu’il y avait de cadenassé, tout l’idéal démesuré de l’apôtre est soudainement ouvert. Thomas est guéri par l’avènement de ce qu’il ne voulait plus espérer. Son désir si longtemps retenu et désormais empli de la présence de Jésus fait céder tous les barrages et l’inonde. Il plonge alors dans les mains et le côté de Jésus, ce cri sort de sa bouche : « Mon Seigneur et mon Dieu ». Lui, le cynique, il ose enfin croire ! Il fait la plus belle des professions de foi ; en quelques mots, il affirme que le ciel et la terre se rencontrent en Jésus et que, par l’homme-Dieu, du fond de notre misère nous pouvons désormais marcher vers le ciel. Plus rien n’est trop haut pour l’homme, l’immense désir et l’idéal d’absolu trouvent leur réalisation dans le transpercé qui nous ouvre la vie.

Amen.