Homélie du jour de Pâques
« Votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu »
Tout commence. La joie de Pâques est celle d’un départ. C’est la femme découvrant qu’elle porte la vie, l’enfant au seuil de la maison partant en exploration du jardin, le jeune au jour de son premier emploi et des responsabilités naissantes, les époux au soir de leur mariage découvrant la merveille de leur don mutuel.
Toute aube porte avec elle un avenir d’ombres et de lumière ; depuis que le péché est dans le monde, depuis que la création dans ses commencements mêmes fut salie par le mal, le risque de la mort est connaturel à chaque naissance. Au matin de Pâques, le Christ livre le plus précieux des nouveau-nés entre les mains de ses apôtres. C’est un rien, un embryon, le germe d’une vie, la lumière d’un cierge que Jésus abandonne à douze hommes de Galilée pour en embraser le monde. Qui aurait parié sur sa réussite ? De ces douze-là, elle est pourtant parvenue jusqu’à nous.
Voici la réponse à tout ce que la vie nous a promis, à ces minutes où nous avons senti en nous l’appel de l’éternité et le frisson de l’impossible dans nos âmes marquées par Dieu[1]. Ces instants-là ont parfois été déçus par le temps et nous avons cru avoir rêvé ; ce qui aurait dû se réaliser a échoué, l’enfant jadis lumineux est émoussé par la vie, le responsable est désenchanté par les revers, les époux ont vu s’éteindre en eux le goût de se donner. Malgré nos labeurs et notre persévérance, nous avons perdu notre amour des premiers temps.
Dieu, lui, est resté fidèle et, alors que nous oubliions jusqu’à nos désirs et nos rêves, il les a gardés pour nous. En ce matin, nous sommes recréés, le Seigneur nous rend notre amour, il fait renaître en nous la possibilité d’une vie véritable, il réveille la source de notre désir et nous fait réentendre la voix trop longtemps oubliée de son éternel appel. La grâce germe à neuf en nous, cette aube est la nôtre, tout ce qu’il y a de beau, de grand et de nouveau en nous s’abreuve à cette source que le Seigneur fait jaillir de sa vie éternelle. Jean entre dans le tombeau et croit, son espoir anéanti par la mort du Christ devient foi en celui qui peut, par sa croix, accomplir tout ce que notre espérance nous a laissé présager.
Cette œuvre de Dieu pourra de nouveau être mise à mal, nous aurons encore à lutter pour recevoir du Seigneur la fidélité véritable et vivre de lui, pour croire en sa lumière impérissable, pour espérer quand tout semble perdu ; mais nous le ferons désormais les yeux tournés vers la lumière du cierge pascal, notre unique assurance. Toute cette vie ne sera pas gâchée, nos désirs et nos rêves ne sont pas des illusions, la résurrection du Christ n’est que la première de toutes et il nous entraîne avec lui en détruisant chacune de nos morts. Il n’est pas une promesse que Dieu laissera se perdre : en espérant en lui, nous travaillons à leur réalisation dans ce monde et préparons leur accomplissement définitif dans l’autre. Amen.
[1] « Ce qui m’est insupportable, c’est de voir se tarir l’appel de l’éternité et le frisson de l’impossible dans quelques âmes marquées par Dieu. » Gustave Thibon, Notre Regard qui manque à la lumière.