Homélie du 5ème dimanche de carême
En s’approchant du tombeau de Lazare, Jésus pleure. Il sait pourtant que son ami va revivre puisqu’il l’a annoncé à ses apôtres : je vais aller le tirer de ce sommeil. Jésus pleure cependant.
Ses larmes sont tout d’abord des larmes de douleur et de compassion. En effet, la création avait été un débordement de son être, le jaillissement d’une vie foisonnante, et le chef d’œuvre en était l’homme. Lazare, l’ami de Jésus, l’aimé, c’est cet homme dont le Père avait dit qu’il était « très bon ». Jésus part à la recherche de cet homme, continuant l’œuvre entreprise par Dieu depuis le premier péché. « Adam, où es-tu ? » disait le Seigneur au jardin de la Genèse. « Où est-il ? » demande Jésus à Béthanie. Alors, il s’approche de la demeure de l’homme qui gît dans les ténèbres. Lazare au tombeau est l’image de notre état actuel. Nous vivons en-dessous de l’intention créatrice, rongés par le mal qui nous entraîne vers la mort. Mesurant dans sa chair humaine cette distance immense entre le bonheur pour lequel il nous a créés et le triste état dans lequel nous sommes, Jésus pleure comme une mère découvrant la blessure de son enfant accidenté. Il le sait mieux encore qu’une mère : ce n’est pas pour la souffrance qu’il nous a donné l’existence, ce n’est pas pour le mal qu’il nous a donné un cœur, ce n’est pas pour la mort qu’il nous a donné cette vie.
En même temps qu’il comprend la gravité de notre situation, Jésus mesure jusqu’où le mènera le combat contre le mal et c’est la seconde raison pour laquelle il pleure. Les ténèbres ne lâchent pas gratuitement leur proie : pour aller l’y chercher, Jésus devra s’engager à plonger lui-même dans la mort. Comme Aslan sauve Edmund en s’engageant à s’offrir, Jésus se donne déjà intérieurement pour que Lazare vive. C’est d’ailleurs véritablement ce miracle qui scellera son sort puisque, juste après, les notables jaloux se réunissent en vue de le perdre. Les engagements sont vrais quand on en mesure le coût, Jésus ne s’avance pas à la légère ; en choisissant de se donner, il sait ce qu’il fait, il ressent dans tout son être ce qui va se produire : la trahison et le reniement de ses plus proches, le cri intérieur de l’innocence injustement condamnée, la souffrance de se retrouver seul et à nu, les douleurs physiques de son martyre. Il prend la mesure de tout ce qu’il va vivre et il pleure de voir le piège se refermer sur lui. Son cœur reste pourtant décidé : il pourrait fuir et ne fuit pas, il choisit le sacrifice par amour de l’homme blessé.
Heureusement, ce sacrifice n’a pas servi simplement à réveiller Lazare. À quoi bon, puisqu’il devait mourir de nouveau ? Le réveil de Lazare est le signe de la puissance de l’offrande de Jésus qui, par sa croix, entraîne les hommes dans la vie éternelle. C’est la dernière raison pour laquelle Jésus pleure : Jésus pleure comme un homme apprenant qu’il va être père ; il pleure de connaître cette bonne nouvelle qui pointe déjà dans ce qu’il va faire pour Lazare. Il regarde son œuvre achevée, la joie des saints du ciel au dernier jour, et coulent des larmes de joie.
Jésus pleure donc de douleur devant l’humanité blessée, d’effroi à la vue de la croix et de joie en pensant au bonheur à venir. Cela pourrait sembler incompatible et pourtant, ceux qui ont déjà vécu ces moments mêlés de ténèbres et d’espérance savent que ce sont par excellence ceux où les larmes coulent. Elles coulent par la brèche apparemment infranchissable entre la douleur de ce monde et la joie faisant entendre son appel. Ces larmes appellent un consolateur, le Père qui essuiera toutes larmes de nos yeux au dernier jour. Avec Jésus, nous déposons ici-bas nos larmes dans notre prière de supplication, d’offrande et d’action de grâce, dans l’attente de cette heure où nous dirons là-haut avec lui : « Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé ». Amen.