Homélie du 7ème dimanche du temps ordinaire
« Aimez vos ennemis »
Prenons ce commandement à bras-le-corps. En pensant ce soir à l’un de nos ennemis, demandons-nous bien honnêtement pourquoi nous ne l’aimons pas et si nous sommes honnête avec nous-même, reconnaissons que nous avons cessé d’espérer. Soit que nous nous soyons laissé aller à la pente naturelle de notre antipathie pour cette personne, soit qu’elle nous ait particulièrement blessé ; un jour est venu où nous avons fermé la porte, nous avons dressé un mur, nous avons pensé d’elle : « c’est terminé », « il n’y a plus rien à en attendre ».
Avec la force de l’habitude et du temps, nous arrivons à nous y faire, à laisser mourir en nous la possibilité d’une relation, à ignorer celui qui passe près de nous et, insensiblement, nous finissons par ne même plus y penser. Le Seigneur, lui, ne peut s’y résigner. Son projet est de faire renaître entre nous une union véritable. Au ciel, nous serons parfaits comme le Père, nous serons aimants comme lui, telle est la promesse qu’il nous fait et qu’il veut réaliser en nous. Il ne nous demande pas de partir comme si nous étions arrivés, il ne nous demande pas un cœur brûlant d’amour pour ces ennemis, il nous demande simplement d’accepter le chemin qui s’ouvre à nous, de le laisser ébrécher la muraille que nous avons dressée entre nous et l’ennemi ; car, par cette brèche, il pourra petit à petit nous apprendre à regarder l’autre avec ses yeux à lui, à l’aimer non de notre amour, qui n’est pas, mais du sien, qui est absolu.
Pour qu’il puisse accomplir cela en nous, nous devrons passer par une opération vérité sur le bien et le mal. Bien souvent, cela consiste dans un premier temps à reconnaître que notre ennemi n’est pas le seul responsable des blessures infligées et que nous avons aussi participé à la détérioration de notre relation. D’autres fois, quand l’ennemi nous a blessé et que nous savons, quant à nous, être l’innocent dans cette relation, cela consiste à reconnaître que notre ennemi n’est pas simplement le mal qu’il nous a fait, qu’il est plus large que cela, qu’il a un cœur capable de bien. Quoi qu’il en soit, il s’agit de reconnaître ce que Soljenitsyne écrivait dans L’Archipel du Goulag à propos de ses tortionnaires : « Ah si les choses étaient si simples, s’il y avait quelque part des hommes à l’âme noire se livrant perfidement à de noires actions et s’il s’agissait seulement de les distinguer des autres et de les supprimer ! Mais la ligne de partage entre le bien et le mal passe par le cœur de chaque homme et qui ira détruire un morceau de son propre cœur ? »
Croire cela de celui qui nous fait souffrir est toujours un acte de foi. Créé par Dieu pour le bien, il vaut plus que le mal qu’il nous inflige. Cet acte de foi peut être la source du salut pour lui autant que pour nous car il nous rappelle à notre humanité commune : elle est le champ de bataille du bien et du mal. Ce combat se joue en chacun de nous et en nous accrochant au Christ nous pouvons laisser la lumière triompher en nous. Certes, tout ne se vaut pas, il est des êtres meilleurs que d’autres, certains furent d’ailleurs canonisés ; et pourtant, en tout être humain, la lutte est menée. Le saint a une étrange compassion pour son persécuteur car celui qui se rapproche plus du soleil perçoit mieux les ombres de son âme et prend davantage conscience que le véritable affrontement entre la lumière et les ténèbres se joue en lui-même. Il est donc mieux à même d’aimer ceux qui le font souffrir, comme le Christ en croix pardonnant à ses bourreaux. Amen.