Homélie du 4ème dimanche du temps ordinaire
Ouvrant la bouche, il les enseignait
Alors que Jésus démarre son enseignement, nous sommes renvoyés à la toute première parole, la parole créatrice. Au commencement, nous dit-on dans la Genèse, Dieu créa tout d’une parole : par son verbe, il projeta son être à l’extérieur de lui-même dans la création et, comme il est la bonté même, ce qui en sortit fut bon – Dieu vit que cela était bon nous scande le premier chapitre de la Bible. Lorsque Dieu lui-même vient sur cette terre en Jésus, qu’il naît dans cette création, c’est pour reprendre le fil de son discours interrompu par le péché.
Ainsi, en prononçant le premier mot de son enseignement : Heureux, Jésus rénove nos cœurs et les rend à ce pour quoi ils sont faits ; cette parole est une recréation, comparable aux mots qui avaient fait surgir la lumière : que la lumière soit. En disant : heureux les doux, heureux les miséricordieux, heureux les artisans de paix, Jésus ne se contente pas de nous rappeler à notre vocation, il nous ouvre la possibilité de la réaliser ; à nous qui voudrions que cette recréation se fasse en un instant, il enseigne ici que le bonheur se joue dans le temps.
Les parents qui sont ici avec leurs enfants nouveau-nés et les nouveaux baptisés ont voulu pour eux ce bonheur-là. Ils savent bien que tout ne sera pas rose et que la vie leur sera un combat car le baptême n’est pas un blindage contre les attaques des ténèbres. Mais ce sacrement est une lumière intérieure qui nous tire vers l’avant, qui nous donne de les affronter et de les traverser. En prononçant les béatitudes, Jésus ne nous prémunit pas contre tout le malheur qui se produit dans le monde mais il ouvre une voie pour que nous en soyons vainqueurs. Chacune des béatitudes est en effet placée comme une borne sur le chemin que sont nos vies et je voudrais le montrer avec trois d’entre elles.
Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés nous appelle à être de ceux qui ne se résignent pas devant le mal, qui ne se refusent pas non plus à le voir, qui se laissent atteindre, qui acceptent que leur cœur en soit blessé. La route de notre bonheur passe par ce premier pas, celui de nous ouvrir au malheur, de rejeter à jamais les « c’est-la-vie » et les « que voulez-vous ? » pour entrer dans les pleurs de Dieu devant la blessure qui défigure la beauté de son œuvre. Heureux les cœurs purs nous emmène un peu plus loin sur la route : lorsque nous avons pris conscience du mal qui nous entoure, nous risquons d’en devenir les complices « puisque tout le monde le fait » ; il marche vers le bonheur celui qui, tout en voyant l’ampleur des dégâts, continue de se laisser éclairer par la lumière divine et garde son cœur en communion avec celui du Christ, espérant encore en lui et dans les autres. Heureux êtes-vous si l’on vous persécute nous découvre le bout du chemin, ce point où nos cœurs, après avoir pleuré devant le scandale des ténèbres et cherché pourtant à rester pleins de la bonté de Dieu, iront jusqu’à accepter d’être eux-mêmes blessés, insultés, persécutés avec Jésus parce qu’ils auront préféré la lumière. C’est alors que les ténèbres n’auront plus de prise et ne pourront plus rien contre l’éclat divin qui rayonnera en nous ; c’est alors que, croyant nous mettre à terre, le mal sera défait et que le Christ pourra nous combler de son bonheur.
Amen.