Caillou blanc

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Homélie du 32ème dimanche du temps ordinaire

« Le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob »

Quand Dieu parle, c’est pour prononcer notre nom. Depuis les origines et le premier appel de l’histoire de l’humanité, celui d’Abraham, chaque fois que les hommes s’ouvrent à la parole que Dieu souffle à notre cœur, ils entendent cette voix qui se fait pour eux personnelle. Ce que le Seigneur dit dans la prière ne vient pas frapper nos oreilles, il faut pourtant faire silence pour l’entendre. Dans ce silence, une source intérieure murmure et nous appelle. La prière est ce temps où nous laissons notre soif profonde nous guider, tel un bâton de sourcier, vers l’eau vive. Si nous y avons consacré du temps, en laissant la révélation reçue par les mots extérieurs nous mener vers cette indicible parole intérieure, nous avons reçu l’évidence non seulement de l’existence de Dieu mais de sa présence et de son amour perpétuel et quotidien pour nous. Comme un amoureux qui entend son aimée l’appeler avec amour et se sent revigoré pour la journée, lorsque nous faisons l’expérience de l’amour de Dieu pour nous, nous en sommes vivifiés.

Abraham, Isaac et Jacob ont fait cette expérience. La Genèse est l’histoire spirituelle de ces hommes qui ont vécu une rencontre intérieure. Abraham en voit sa vie bouleversée : il ose partir puis croire contre toute espérance qu’il aura un fils. Isaac, quant à lui, accueille cette promesse doublement renouvelée puisqu’il devient le père de jumeaux. Jacob, le tortueux, reçoit de Dieu le nom d’Israël à l’issue d’un corps-à-corps nocturne mené contre le Seigneur. Moïse, enfin, qui recueille au buisson ardent cette parole : Je suis le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, entend aussi « Moïse, Moïse ». Cet appel ne frappe pas son oreille mais son cœur car c’est le Seigneur qui lui parle. Entendre ainsi Dieu nous déclarer son amour peut être le fruit d’un long combat contre Dieu et contre nous-mêmes – comme Jacob ou Moïse – ; nous pouvons au contraire avoir une prière facile et une amitié paisible avec le Seigneur – comme ce semble le cas d’Isaac – ; dans tous les cas, lorsque Dieu parle, sa voix marque le cœur et devient la pierre de fondation d’une existence.

Ce Dieu qui s’est adressé à nous est éternel et s’il prononce notre nom, s’il s’intéresse à nous, plus encore, s’il nous aime d’un amour parfait, nous ne pouvons plus mourir. Être dans la pensée de Dieu, c’est être tout court ; s’il ne cesse de prononcer notre nom dans son éternité, c’est que nous vivrons éternellement. Désormais, nous sommes comme réfugiés en lui. Le temps, le mal, la mort peuvent bien atteindre notre corps, notre esprit et même notre âme, ce lieu de notre cœur où nous entendons le Seigneur qui nous appelle subsistera à jamais. Ce domaine est notre fort, notre roc. Voilà l’argument que Jésus oppose aux sadducéens pour leur montrer que nous sommes faits pour la vie éternelle ; si Dieu parle à des hommes, cela signifie que ces hommes sont faits pour vivre et pour toujours.

Nous avons soif de la vraie vie et nous la chercherons donc là. Nous scruterons les ténèbres de la prière pour y recevoir la lumière. Nous ferons silence pour écouter le Seigneur prononcer notre nom. Là est la vie véritable qui nous donnera de partir dans le monde pour y accomplir son œuvre, certains d’être fondés sur la seule pierre angulaire qui demeure à jamais. Amen.

« Au vainqueur je donnerai de la manne cachée, je lui donnerai un caillou blanc, et, inscrit sur ce caillou, un nom nouveau que nul ne sait, sauf celui qui le reçoit. » Apocalypse 2, 17