Homélie du 29ème dimanche du temps ordinaire
« Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit ? »
Dieu ne sait-il pas ce qui est bon pour nous ? Ne veut-il pas guérir les malades ? A-t-il donc besoin que nous lui rappelions notre misère pour abaisser son regard vers nous ? Et cet enfant qui est mort alors que nous avions prié pour son salut, le Seigneur l’a-t-il donc laissé tomber ?
« Dieu ne ferait pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit ? Les fait-il attendre ? » Si le juge inique finit par rendre justice à la veuve, Dieu, le juste juge, n’attend pas que nous fassions le siège de son tabernacle pour agir en notre faveur. Notre prière n’est pas la demande de grâce que l’on adresse à un puissant, elle n’est pas l’insistance avec laquelle on poursuit l’administration pour obtenir une réponse à une demande. Dieu n’est ni lointain ni bureaucrate, il est au contraire tout proche et sans cesse à guetter le son de notre voix. Lorsque nous lui adressons notre prière, nous ne venons pas le voir à son guichet d’exaucement des intercessions, nous ne sommes pas face à lui comme des suppliants, nous sommes avec lui comme des collaborateurs.
Le Seigneur ne cesse pas de donner sa vie et d’étendre sa bénédiction sur la création ; c’est la création qui ne reçoit plus cette vie et cette bénédiction car la faute commise par les êtres libres qu’il a créés l’ont déracinée de la source de son existence. Lorsque nous offrons nos cœurs dans la prière, nous ouvrons un canal à cette grâce, nous recevons le don de Dieu et lui permettons de porter son fruit dans le monde. Nous sommes comme une terre asséchée sur laquelle les pluies torrentielles de la vie divine tomberaient sans réussir à y pénétrer, la prière ouvre une brèche et permet à la bénédiction divine d’être reçue au sein de sa création.
En priant, nous nous rangeons donc du côté de Dieu, nous refusons de le rendre complice du mal et nous demandons de devenir alliés dans la lutte qu’il mène contre celui qui défigure son œuvre. De ce point de vue, la prière est un combat. Moïse lève les bras au ciel et lutte pour les y garder levés, c’est la lutte quotidienne de celui qui s’attache à recevoir Dieu. Ouvrir l’attention de son désir à la présence de Dieu et à ce dont il veut nous nourrir ne demande pas moins de force que de garder les bras en l’air, et tandis que nous nous y employons, nous donnons à Dieu de venir vaincre son adversaire sur le terrain de combat qu’est notre être.
Plus nous nous offrons à cette prière, plus douloureux en sont les échecs : le toxicomane que nous avions soutenu de notre intercession a rechuté, la guerre redouble alors que nous demandions la paix, le malade pour lequel nous avions prié est mort. Autant de défaites dont nous sommes tentés de rendre Dieu responsable. S’il y en a pourtant un qui lutte au côté du souffrant, c’est lui. Certes, le mal introduit par les anges et les hommes a trop envahi ce monde, il le mange comme un cancer et il est des moments où il semble même avoir vaincu. Pourtant il a déjà perdu et notre prière est cet acte de foi par laquelle nous osons croire à la victoire de la lumière sur les ténèbres, à la puissance de la Croix du Christ sur toute mort. Amen
Saint-Michel – 15 octobre 2016
« Je prie pour vous – cela ne signifie pas que je prononce de temps en temps quelques paroles en pensant à vous ; cela signifie que je me sens responsable de vous dans ma chair et dans mon âme, que je vous porte en moi comme une mère porte son enfant, que je veux partager, et non seulement partager mais attirer entièrement sur moi tout le mal, toute la douleur qui vous menacent, et que j’offre à Dieu toute ma nuit pour qu’il vous la rende en lumière ».
Gustave Thibon, Notre regard qui manque à la lumière, Fayard, 1970