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Homélie du 23ème dimanche du temps ordinaire
Celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple.
L’appel de Jésus s’adresse à tous. Il n’est pas réservé à quelques franciscains. Nous sommes tous appelés à tout quitter pour suivre le Christ, et si ceux qui ont fait vœu de pauvreté le vivent d’une manière pleine et entière, s’ils le vivent comme au ciel, ce n’est pas pour le faire à notre place mais pour nous rappeler que nous y sommes tous appelés. En eux qui vivent de l’abandon complet entre les mains de Dieu, nous contemplons ce pour quoi nous sommes faits. Les biens dont nous disposons en ce moment n’ont de sens que lorsque nous les faisons participer à ce qui est le grand œuvre de notre vie. Ils prétendent nous servir, cependant nous risquons trop souvent d’en devenir les esclaves, il s’agit de les remettre à leur place en les traitant pour ce qu’ils sont et en y renonçant courageusement quand ils nous enferment ; car, à vrai dire, la seule manière d’en profiter véritablement c’est de toujours les recevoir du donateur.
Tout cela, sans oser dire que nous en vivons, nous le savons ; pourtant, aujourd’hui, Jésus va plus loin encore puisqu’il nous invite à le préférer non seulement aux biens, mais encore aux personnes. Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. Il est des familles où le choix du Christ implique de renoncer effectivement à l’amour d’un proche. Des hommes et des femmes demandent le baptême aujourd’hui en France et savent qu’ils le font au prix de leurs relations familiales. Ils se retrouvent interdits des liens les plus naturels, rejetés, isolés. Heureusement, nous ne sommes pas tous dans une situation aussi dramatique pourtant ces héros de notre foi nous éclairent sur l’amour vrai.
Honore ton père et ta mère. Le commandement mène déjà naturellement à quitter père et mère car les honorer, c’est un jour devenir soi-même père ou mère, se présenter devant eux comme un adulte dont ils peuvent être fiers et heureux. Le bienheureux Juan Sanchez del Rio, mort martyr à 14 ans dans la persécution mexicaine des années 20 et bientôt canonisé par le pape François, répondit à l’un de ses tortionnaires qui essayait de lui faire renoncer à sa foi en lui rappelant l’affection de ses parents : « Dites-leur que nous nous verrons au ciel ». Ses parents ont évidemment pleuré leur enfant et sa mort leur est restée comme une blessure irréparable ; et pourtant, il ne pouvait mieux leur faire honneur qu’en manifestant un tel courage et une telle force devant des persécuteurs qui voulaient lui faire renoncer au Christ sous la menace des armes. Cette dernière parole est prophétique, elle annonce qu’un jour le Christ réparera nos relations familiales.
Nos relations sur cette terre sont difficiles et troublées, cependant, si nous les orientons vers le ciel, si nous faisons le choix du Christ avant tout autre, y compris avant nous-même, c’est lui qui reconstruira notre vie. Le choix qui nous est demandé n’est jamais que temporaire, nous préférons le Christ à père, mère, femme ou enfant mais c’est toujours pour retrouver ceux-là en les recevant de Jésus lui-même. Ce qui s’accomplit au ciel pour le jeune Juan Sanchez del Rio, se produit aussi fréquemment sur la terre. Des situations apparemment désespérées se résolvent dans le Christ, des couples en difficulté se retrouvent grâce à l’abandon de l’un des deux à la Croix où l’autre vient finalement aussi s’abreuver, des petits-enfants rencontrent la foi de leur grand-mère et finissent par vaincre l’opposition de leurs parents au baptême, des parents d’abord révoltés par le choix de vie de leur enfant qui entre au monastère découvrent finalement leur joie et leur fierté dans son bonheur avec Dieu. D’autres situations plus habituelles : des disputes quotidiennes, des oppositions routinières, des non-dits chroniques qui mènent de fil en aiguille à un éloignement progressif d’avec ceux que nous aimons sont aussi battus en brèche lorsque nous reconnaissons devant Dieu qu’aucun de nos proches ne nous appartient, lorsque nous laissons Jésus illuminer nos affections, lorsque nous le choisissons pour être au centre. Ainsi peut-il accomplir de petits et de grands miracles et faire que nos relations familiales ne nous apparaissent plus comme des esclavages mais comme le lieu de vie de notre liberté retrouvée. Amen.
Saint-Michel – 4 septembre 2016