L’Envoyé

Homélie du 14ème dimanche du temps ordinaire

Vos noms se trouvent inscrits dans les cieux –

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Que le Christ lui-même envoie ses disciples dans le monde nous emplit de force et de confiance pour y agir et y proclamer sa bonne nouvelle. En effet, les missions que nous nous donnons à nous-mêmes sont susceptibles d’être remises en cause par la moindre opposition – et si nous nous étions trompés ? –, alors nous risquons de nous arc-bouter avec rigidité sur la chimère poursuivie de notre propre chef ou bien de nous effondrer en nous lamentant sur notre faiblesse. Au contraire, il nous est bon de recevoir du Christ notre mission de chrétien. Nous y rencontrerons peut-être plus de contradictions qu’ailleurs ; cependant, appuyés sur la parole de Jésus, nous les traverserons avec plus de persévérance. Un enfant est investi d’une force immense au jour où on lui fait confiance pour une tâche particulière ; et ce qu’il n’aurait jamais osé imaginer accomplir, il le fait parce qu’un autre lui a dit : je t’envoie – sa vie peut en être bouleversée. De même les apôtres, et les chrétiens après eux, n’auraient jamais envisagé de traverser ainsi villes et villages en annonçant le Règne de Dieu ; voici pourtant que le Christ les envoie, et ils partent sans hésitation.

Cette mission reçue par les disciples est plus grande encore car elle n’est pas simplement un envoi, elle est aussi l’établissement d’un lien tout particulier avec Jésus lui-même. Les disciples ne sont pas des facteurs qui porteraient une lettre sans en être partie prenante. Ils participent par leur mission à la mission même de Jésus ; d’ailleurs, ils font exactement ce que fait Jésus : guérir les malades et annoncer : « le Règne de Dieu s’est approché de vous ». En recevant les disciples, c’est Jésus lui-même que reçoivent les villes vers lesquelles ils sont envoyés ; en les rejetant, c’est Jésus lui-même qu’elles rejettent. Ceci explique la sévérité du jugement pour les villes qui n’accueilleraient pas les apôtres – en eux, c’est Jésus lui-même qu’elles n’ont pas accueilli – « celui qui vous rejette me rejette ; et celui qui me rejette rejette celui qui m’a envoyé »[1].

Saint Paul insiste en ce sens : « je porte en mon corps les marques des souffrances de Jésus » ; il y a dans la mission reçue de Jésus par tous les baptisés, à la fois la promesse d’une union toute particulière avec lui et en même temps l’exigence d’approfondir cette union avec celui qui donne sens à leur vocation dans ce monde. Pour nous éviter le découragement, toutes les oppositions que nous rencontrons dans notre mission doivent être unies à sa croix ; pour nous éviter la présomption, tous les succès que nous y remportons doivent monter en louange vers celui qui nous a choisis pour œuvrer à sa moisson sans mérite de notre part. La prière est ainsi le lieu où nos êtres sont petit à petit unis à lui, elle est le moyen privilégié par lequel notre mission sur cette terre prend son sens.

Si nous y plongeons nos vies, nous y découvrirons que sa place auprès du Père est la nôtre, autant que notre mission est la sienne. De fait, partager la mission du Christ, c’est partager son être même tant il n’y a pas de distance en lui entre ce qu’il est et ce qu’il fait. « Réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux ». Au moment où nous agissons, où nous parlons au nom même du Christ, alors que Satan tombe du ciel comme l’éclair, lorsque nous nous battons pour la vérité, lorsque nous affirmons notre foi avec courage, quand nous aimons avec miséricorde et que nous soutenons une personne souffrante, nous pouvons avoir la certitude que nous sommes fils du Père en Jésus.

L’apôtre par excellence, c’est-à-dire l’Envoyé – puisque c’est le sens même du mot apôtre en grec – c’est lui ; et nous voyons sa personne resplendir d’autant plus qu’il s’approche de l’humanité apparemment la plus éloignée de la béatitude divine : l’humanité malade, l’humanité pécheresse et, en définitive, l’humanité morte. Sur la Croix, il va au plus loin et sa vocation transparaît alors en plénitude : il est l’Envoyé du Père pour ramener au Père toute la création. Lorsque nous répondons à son appel et collaborons à cette œuvre immense de son amour en y unissant, par nos efforts humbles et quotidiens, toute notre personne, nous sommes le corps du Christ et nous habitons la Trinité même. Amen.

Saint-Michel – 3 juillet 2016

 

 

[1] Lc 10, 16 – verset coupé par le lectionnaire liturgique, qui se trouve pourtant au cœur du passage évangélique lu ce dimanche.