Homélie du 13ème dimanche du temps ordinaire
– C’est pour que nous soyons libres que le Christ nous a libérés –
Notre liberté est un don de Dieu qui se conquiert. Le choix n’est pas l’aboutissement de l’acte libre, il n’en est que le début. Dans l’évangile d’aujourd’hui, le « suis-moi » du Christ et les deux « je te suivrai » sont les résumés d’instants-clés de notre histoire où nous avons pris une décision ; par les trois affirmations qui suivent, Jésus renvoie ces moments à la longueur du temps et de l’engagement qui va petit à petit nous dépouiller de nos fausses assurances et de nos enfermements pour nous rendre libres. Une chose est de dire « me voici » au jour de son ordination comme l’ont fait onze hommes hier à Notre Dame, autre chose est d’être bien là où le Christ nous appelle tous les jours suivants. Et quand bien même nous abandonnerions soudainement toutes nos richesses en un instant, à l’instar de Saint François d’Assise, elles ne nous lâcheront pas si vite – chassez le naturel, il revient au galop – elles resurgiront dans nos penchants, nos rêves, et s’immisceront autant que possible dans les moindres petits détails de nos vies. Il se produit parfois des miracles dans cet ordre, cependant, la plupart du temps, ce que nous avons à laisser derrière nous pour suivre le Christ nous poursuit encore longtemps et nous nous en défaisons fil à fil.
Saint Paul nous dit que le Christ nous a libérés, il nous reste donc à être libres. Il y a le plus souvent la distance d’une vie entre les deux : une chose est de pouvoir choisir, une autre d’accomplir la décision qui a été prise. Par trois fois dans l’évangile d’aujourd’hui, Jésus rattache la décision de le suivre à ce qu’elle va coûter. Pas la peine de dire que nous allons le suivre, si nous ne sommes pas prêts à ne reposer notre tête que sur le rocher qu’est le Christ, à laisser derrière nous père et mère et à abandonner le passé pour regarder vers l’avant.
On ne demande pas à celui qui s’engage d’avoir déjà accompli ce qui fera la réalité du don de lui-même au fil des années car au départ rien de tout cela n’est joué, rien n’est fait ; cependant il est essentiel d’accepter cette radicalité bien qu’elle soit encore abstraite. Au jour de son mariage, il est essentiel d’avoir contemplé ce que signifie choisir son futur époux et être prêt pour cela à quitter père et mère. La plupart du temps, ce choix se vivra dans la paix ; toutefois des heures de la vie pourront amener l’un ou l’autre à devoir préférer son conjoint à ses propres parents, son conjoint à sa carrière, son conjoint à toutes choses. Ces épreuves sont des instants de liberté où l’engagement pris devient une réalité historique et vécue, elles nous donnent de mesurer le besoin de que nous avons de la grâce de Dieu pour accomplir l’acte libre auquel nous nous étions engagés au premier jour. L’évangile d’aujourd’hui en est à ce premier jour, à ce moment du choix où l’on regarde de loin ces difficultés à venir, comme le Christ s’avance vers sa Passion. En ces heures, on envisage les dépouillements qui seront réclamés, on essaye de savoir si on va pouvoir tenir la distance et finalement, bien qu’il soit nécessaire de tout peser, on se retrouve bien ignorant de ses propres capacités. Le discernement que nous opérons dans un temps de séminaire, dans un temps de fiançailles, dans un temps de noviciat a pour principal but de nous faire prendre conscience de l’ampleur de la tâche, de notre incapacité à l’accomplir et du besoin que nous avons de la grâce de Dieu qui nous tiendra fidèles si nous nous y appliquons chaque jour.
Devant l’autel, nous nous avançons alors comme Jésus monte à Jérusalem, le visage déterminé. Il a choisi de s’offrir en sacrifice et tout est encore à faire mais sa volonté prend la décision à bras-le-corps. Il y aura bien des efforts à accomplir pour être persévérant, cependant, ceux-ci ne nous mettront jamais à la hauteur de notre vocation, ils sont « comme un soc qui retourne la terre et arrache les broussailles. Mais la semence divine vient d’ailleurs » (Gustave Thibon). Notre vocation est immense, elle est infinie, nous sommes faibles, seule la grâce de Dieu, recherchée par l’humble offrande de notre vie sans découragement ni présomption, pourra nous donner d’être à la mesure de notre appel. Amen.
Saint-Michel – 26 juin 2016