Homélie du 11ème dimanche du temps ordinaire
– Elle se mit à mouiller de ses larmes les pieds de Jésus –
Il y a deux dialogues dans cet évangile : celui de Simon et de Jésus dont l’échange nous est rapporté et celui de la femme avec Jésus. Ce second dialogue est tellement silencieux qu’on ignore même le prénom de celle-ci. En effet, pour exprimer ce qu’elle vit, elle n’a pas d’autres mots que ses gestes, son parfum et ses larmes adressés à Jésus.
Ses larmes sont un débordement ; Jésus fait d’ailleurs remarquer à Simon ceci qu’il n’a pas voulu voir : cette femme déborde d’amour. C’est le premier bienfait des larmes : elles nous évitent d’être submergés à l’intérieur en déversant au dehors une partie du trop-plein qui nous habite. Les jeunes enfants pleurent plus souvent que leurs aînés, c’est notamment parce qu’ils ont moins de mots. Ce que les mots n’ont pas réussi à prononcer se trouve ainsi manifesté et ceux qui savent lire les larmes, comme ici Jésus, en comprennent le message. Par leur présence, leurs questions et leurs attentions, ils nous aident à exprimer ce que nous n’avons pas su articuler.
Les pleurs disent donc notre incapacité, elles nous inondent parce que nous avons épuisé les ressources de la parole et de l’action. Elles disent que nous sommes démunis et si pauvres devant la situation que nous affrontons. L’épreuve est trop lourde, nous ne pourrons pas la porter, nous pleurons ; et contrairement à ce que l’on entend trop souvent, ces pleurs ne sont pas inutiles car vient alors le second aspect des larmes, le moment où elles mettent notre liberté en jeu. Qu’allons-nous faire ? Nous résigner et trouver dans nos sanglots l’unique consolation ou bien regarder humblement notre faiblesse et placer notre confiance dans le Christ et ceux qu’il nous envoie pour affronter l’adversité ? L’expérience de dénuement que nous font faire les larmes n’est pas simplement un manque mais aussi un rappel de la nécessité que nous avons des autres. L’enfant se réveille d’un cauchemar, bien que le danger soit désormais écarté, il pleure en appelant sa mère parce qu’il sait ne pas pouvoir affronter la vie et ses épreuves quelles qu’elles soient sans cette présence à ses côtés. En se réveillant du cauchemar de son péché, la femme de l’évangile a trouvé dans le Christ celui vers qui tourner ses larmes ; et en lui lavant les pieds, elle a posé un simple geste d’amour, abandonnant ainsi sa pauvreté à celui qui peut la combler.
Vient alors le troisième fruit des larmes. Si elles rencontrent un cœur pour les accueillir au nom de Dieu, les pleurs nous font ressentir dans notre corps la présence divine et son action unificatrice. « Tes péchés sont pardonnés » : Jésus prononce la parole qui délie tout en cette femme et elle reçoit bien plus qu’elle n’avait imaginé. La voici réconciliée. Les larmes nous rappellent toujours à l’unité fondamentale de notre être, que ce soit en creux lorsqu’elles surgissent de nos divisions personnelles ; ou en plein, lorsqu’elles surviennent dans un moment d’unification intérieure – par exemple, au jour où un autre nous dit notre vocation et, par sa parole, fonde notre unité : mariage, consécration, ordination, enfantement, etc.
Par leur venue toujours inattendue, les larmes nous enseignent que nous pouvons nous disposer à l’action de Dieu mais qu’elle surprend toujours notre attente en la dépassant. Par leur débordement, elles nous apprennent à nous abandonner à la grâce lorsqu’elle est donnée toujours plus abondante que nous ne l’espérions. Par la pudeur qu’elles nous imposent, elles nous rappellent que l’action de Dieu est toujours secrète, personnelle et mystérieuse. Amen.
Saint-Michel – 12 juin 2016