À nos échecs

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Homélie du 10ème dimanche du temps ordinaire

– Tu as changé mon deuil en une danse –

Nous portons tous des enfants morts. Il y a nos défunts bien sûr, ce que nous n’avons pas osé leur dire, ce que nous espérions encore vivre avec eux. À ces êtres aimés et désormais inaccessibles se joignent tous nos échecs, nos désillusions, nos espoirs déçus, ce que nous rêvions de nos vies et qui ne s’est pas réalisé, les projets que nous avons ébauchés et qui nous ont été retirés, les relations dont nous attendions tant et qui se sont mal terminées ou qui ne se sont pas achevées autrement que par cet insensible éloignement qui peut user jusqu’aux relations d’amitié les plus solides. Nous avons pu essayer d’oublier – puisque ça ne peut pas être, autant l’oublier – et aujourd’hui en entendant cet évangile, nous reconnaissons dans la triste foule qui accompagne le fils de la veuve de Naïm chacun de ces rêves inaccomplis, chacune de ces amitiés perdues ainsi que chacun de ceux sur qui la mort est venue trop vite.

Terrible procession qui suit son cours, apparemment inéluctable, le temps accomplissant patiemment son œuvre destructrice, la mort achevant ce qu’il n’a pas réussi à anéantir. Au fur et à mesure que nous avançons dans la vie, le fleuve charriant nos défaites grossit, l’eau monte et entraîne alors nos idéaux les plus précieux. Seule la politique du pire semble pouvoir mettre fin à l’action ravageuse du temps : notre propre mort arrêtera l’œuvre des années en emportant définitivement tout sur son passage.

Voilà cependant Jésus qui vient et dit : « Ne pleure pas. » Ne joins pas tes larmes au cortège funèbre : la vie est venue dans le domaine des morts, l’éternité est venue dans le royaume de l’éphémère. Jésus arrête la macabre procession et touche le cercueil. La mort du fils de la veuve était très certaine, aussi indubitable que nos échecs les plus irréversibles. Nul ne pouvait rien y faire. Jésus pourtant déclare : « Jeune homme, je te l’ordonne, lève-toi » ; le mort se redresse, il parle, il est rendu à sa mère. En s’approchant du cercueil, c’est de nous que Jésus s’approche, il vient pour nous sortir des eaux et, avec nous, tout le bien qui s’est fait par nous. Ces espoirs que nous avons enfantés et que nous portons en nous comme des enfants morts, le Seigneur nous annonce qu’ils n’en resteront pas là. Il n’est pas une bonne œuvre, pas un acte de foi confiant, pas même l’ébauche d’un geste d’amour qui soit définitivement perdu aux yeux de Dieu. Ne renions pas les rêves passés, les joies révolues, le bien accompli même s’il semble désormais effacé, confions-les plutôt à Dieu. Le temps continuera son œuvre, notre vie nous apparaîtra parfois comme une trace dans le sable, aussitôt effacée par le vent. La mort viendra un jour nous emporter. Néanmoins, même le temps et la mort passent, Jésus demeure et peut donner à notre vie de porter un fruit d’éternité. Amen