
Homélie de l’Ascension
À vous
d’en être les témoins
Depuis que le Christ est monté aux cieux,
ceux-ci sont ouverts à tous. L’Ascension est le dernier des épisodes de
l’évangile qui nous manifestent que Jésus installe une relation nouvelle entre
le ciel et la terre, entre Dieu et les hommes. Au baptême du Christ, les cieux
s’étaient ouverts pour que descende sur la Terre la voix du Père ; ainsi se
révélait que Dieu lui-même était venu se mettre au rang des pécheurs ; à
la Transfiguration, le Christ placé entre ciel et terre se manifestait comme le
médiateur, le pont entre Dieu et les hommes ; à l’Ascension, Jésus nous
entraîne avec lui au ciel.
C’est ici que se montre la finalité de
l’histoire d’Israël : ces siècles patiemment occupés par le Seigneur à se
préparer un peuple, à lui enseigner une loi, à former des cœurs à même de
donner naissance à celui qui réconcilierait les hommes avec leur Père des
cieux. L’Ascension n’est pas la fin d’une belle histoire « parce qu’il
faut bien que ça s’arrête un jour », elle est le couronnement de l’œuvre
commencée à la création et continuée dans la mort et la résurrection du Christ.
Enfin, un homme est auprès de Dieu dans son corps et dans son âme. Cela ne
concerne pas simplement cet individu, la lettre aux Hébreux le proclame :
« c’est avec assurance que nous pouvons entrer dans le véritable
sanctuaire grâce au sang de Jésus : nous avons là un chemin nouveau et
vivant », c’est dire la route que Jésus inaugure pour nous.
D’une certaine manière tout est achevé en ce
jour, le grand œuvre de Dieu est visible de tous. Cependant, ce n’est pas un
point final ; tel l’arrivée à un col de montagne, cet achèvement ouvre nos
yeux à un paysage nouveau. Désormais, l’homme pourra vivre au ciel avec Jésus.
Les apôtres reviennent à Jérusalem « en grande joie » et sont
« sans cesse dans le Temple à bénir Dieu », cette vie nouvelle qu’a
inaugurée Jésus croît déjà en eux. Ils ne vivent plus comme avant ; maintenant,
ils sont citoyens des cieux. Quelques heures plus tôt, ils s’inquiétaient
encore de l’établissement d’un royaume en Israël ; l’Ascension de Jésus
auprès de Dieu leur donne de comprendre qu’un autre Royaume s’ouvre devant eux,
l’empire de Dieu sur les cœurs qu’ils auront pour mission d’étendre jusqu’aux
extrémités de la Terre.
Les Actes des apôtres ne cachent pas pourtant
les difficultés et les obstacles qu’ont rencontrés les disciples.
Contradiction, moqueries, procès, jugements iniques, emprisonnement, martyre :
les coups pleuvent sur les envoyés de Dieu. Vivre ici-bas ou au ciel, il faut
choisir. Ces épreuves sont le lieu où se vérifie la décision des apôtres de ne
pas s’installer , de garder toujours le cœur tendu vers le ciel et d’y entraîner
tous ceux qui les approcheront. « Dieu premier servi », la devise de
Jeanne d’Arc, est tout droit inspirée de cette parole de Pierre devant ses
opposants du Sanhédrin qui veulent le faire taire : « il faut obéir à Dieu
plutôt qu’aux hommes ».
Pas plus que celle des apôtres, nos souffrances
et nos épreuves n’ont de valeur en elles-mêmes, elles peuvent faire de nous le
plus égoïste des êtres ou bien nous ouvrir à la douleur des autres ;
poussant notre liberté à faire un choix, elles sont toutefois l’unique chemin
par lequel nous pouvons être saints et entrer au ciel. Nous ne saurons ce que
nous sommes qu’en les affrontant, nous n’entrerons au ciel qu’à travers elles. Bien
souvent, nous l’avons touché du doigt quand nous avons trouvé en Dieu la force
de ne pas céder au repli sur soi dans la douleur, quand nous avons cherché à
nous donner davantage malgré la fatigue, quand nous avons essayé d’aimer celui
qui nous faisait du mal.
Choisir de s’abandonner de cette manière à
l’action du Seigneur dans nos vies, c’est vivre déjà du ciel où Jésus nous
attire. C’est aussi choisir de vivre en tension vers cette terre nouvelle tant
que nous serons en pèlerinage ici-bas. Être chrétien, vouloir être saint, nous
coûtent. Il semblerait souvent bien plus facile de s’installer dans ce monde,
de s’y faire une vie plus reposante, d’éteindre en nous le feu qui nous appelle
à nous donner, de fermer nos oreilles aux appels de Dieu. Pourtant, rien ne
vaut une telle aventure, en nous y refusant, nous perdrions tout pour quelques
heures de tranquillité. Au milieu des tribulations, souvenons-nous que nous
avons choisi le ciel et que la route qui y mène passe par la croix du Christ. Accusé
et bientôt martyr, devant ses contradicteurs dont l’Écriture nous dit qu’ils
« avaient le cœur exaspéré et grinçaient des dents », Étienne vit la
gloire de Dieu et déclara : « Voici que je vois les cieux
ouverts ». Amen.
Saint-Michel – 5 mai 2016