Un petit caillou

Homélie du 5ème
dimanche de carême

Dans la loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là

Il est tentant en lisant cet
évangile de faire de Jésus le contradicteur de Moïse. La lapidation des
adultères – hommes et femmes – prescrite par la loi mosaïque est en effet
tellement barbare à nos yeux qu’on serait heureux de trouver en Jésus le
pourfendeur de cette pratique. Pourtant l’Évangile lui-même nous interdit
d’opposer Jésus à la loi. Il suffira pour s’en convaincre de citer deux exemples.
Le premier se trouve dans ce passage même ; en effet, Jésus y écrit de son
doigt sur la terre, ce geste évoque la loi écrite du doigt de Dieu sur la
pierre (Ex 31, 18). C’est donc bien le même Dieu qui a donné la loi à Moïse et
qui prononce les paroles de libération sur la femme accusée. Le second exemple
est dans l’évangile de Saint Matthieu, Jésus y déclare : « Ne pensez
pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu
abolir, mais accomplir. » (Mt 5, 17) En quoi Jésus accomplit-il donc ici
la loi qui demandait la lapidation des adultères ?

À vrai dire, il aggrave plutôt
la loi dans un premier temps, car s’il prononce la sentence : « celui
d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une
pierre », ce n’est pas tant pour renoncer à la lapidation que pour
manifester à ses interlocuteurs qu’ils sont tous pécheurs et qu’ils méritent
donc tous d’être lapidés. Ailleurs,
Jésus se fait plus incisif encore : « Vous avez appris qu’il a été
dit : Tu ne commettras pas d’adultère. Eh bien ! moi, je vous
dis : Tout homme qui regarde une femme avec convoitise a déjà commis
l’adultère avec elle dans son cœur. » (Mt 5, 27-28) Il n’y a pas moyen d’y
échapper. Nous sommes tous dans le même bain. Et, si la loi de Moïse déclare
que les adultères doivent être lapidés, nous devons donc tous être lapidés.

C’est dire que la conséquence
de notre péché quel qu’il soit, c’est la mort. Cette vérité n’est pas facile à
entendre et pourtant, tant que nous ne la percevons pas, nous ne prenons pas la
mesure de la profondeur de la miséricorde divine. En effet, nous avons tout
reçu de lui. Le péché ce n’est rien d’autre que de vouloir s’accaparer le don
de Dieu, mettre la main sur ce dont il nous comble et le séparer de la source.
Le péché, c’est vouloir la fleur sans les racines. Nous devrions mourir sur
place dès lors que nous faisons le mal ; pourtant, par un miracle de la
bonté divine, nous continuons à vivre. Dès lors que nous nous sommes rebellés
contre l’origine de nos existences, la mort est pourtant à l’œuvre ; à
partir du moment où nous lui avons ouvert une brèche par nos actions mauvaises,
elle cherche à détruire la création divine.

Celui qui pèche mourra, cela
n’est pas une condamnation extérieure injuste, c’est la logique interne du mal
qui mène à la destruction de toute vie. La lapidation des pécheurs qu’énonce la
loi de Moïse est le rappel brûlant des conséquences dramatiques de notre mal
contre lesquelles le Seigneur ne cesse de lutter pour nous ramener à
lui et à sa vie. Cette loi barbare est comme un panneau indicateur nous
alarmant sur le danger que nous courons à pécher.

Dieu va plus loin encore dans
son amour pour nous : lorsque Jésus sauve cette femme de la main de ses
accusateurs en leur rappelant qu’eux aussi sont en route vers la mort à cause
de leur péché, lorsqu’il lève la sentence de condamnation qui pèse sur ses
épaules, autrement dit lorsqu’il l’arrache à la mort, ce n’est pas une parole
prononcée du bout des lèvres. Tout l’être de Jésus se livre à ce moment-là aux
pierres qui auraient dû atteindre la femme et les pécheurs qui l’ont amenée. Le
Christ accomplit la loi en s’offrant à la mort à la place des pécheurs. La
bonté de Dieu ne s’est pas contentée de nous donner un temps de répit, de
retarder la mort que nous faisions entrer dans le monde par notre mal, elle est
allée plus loin. Dieu lui-même s’est livré à la mort. La mort ne fait pas de
cadeau, elle ne négocie pas avec le Seigneur ; si Jésus peut lui retirer
les pécheurs, c’est parce qu’il prend leur place et va détruire son ennemi de
l’intérieur de la tombe. À partir du moment où il déclare : « Moi non
plus, je ne te condamne pas », il prononce en fait sa propre condamnation.
Il colmate de son propre corps la brèche ouverte à la mort par notre mal.

Devant le péché de l’homme, le
Seigneur ne se présente pas comme un doux rêveur un peu mièvre, il n’en
minimise pas la gravité, il n’hésite pas, par la loi mosaïque, à nous rappeler
le danger dans lequel celui-ci nous met ; et, alors même qu’il nous avertit
du risque que nous courons, il s’avance courageusement et avec fermeté vers son
ennemi pour nous arracher de ses griffes. Il nous estime d’une valeur telle
qu’il a été prêt à se donner lui-même pour nous sauver. Ce dimanche ouvre le
temps de la passion, au cours duquel nous revivons la grandeur de ce sacrifice
de notre Sauveur. Amen.

Saint-Michel – 13 mars 2016