
Homélie du 3ème
dimanche de carême
Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même
Cette affirmation de Jésus a de
quoi surprendre. En effet, s’il est une mort qui ressemble à celle des
Galiléens massacrés par Pilate et dont le sang fut mêlé au sang de leurs
sacrifices, c’est bien celle de Jésus, dont le sang a coulé au moment où l’on
immolait l’agneau pascal. Qu’est-ce donc que périr à la manière de ces Galiléens ?
ou de ces dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé ? La
mort dont Jésus parle ici et la mort que nous risquons si nous ne nous
convertissons pas, quelle est-elle ?
Il s’agit d’une manière de
mourir car Jésus et le bon sens ne prétendent pas que la conversion nous fasse
échapper à la mort, pas plus que l’innocence du Christ ne lui évita la mort. La
mort frappe tous les vivants d’une loi implacable qui a partie liée avec le mal,
sans que nous puissions en démêler le lien de cause à effet. Cette universalité
de la mort défigure profondément l’œuvre de Dieu qu’est la création et broie
toute œuvre humaine : en détruisant tout sur son passage comme s’effondre
la tour de Siloé, elle rend inutiles les efforts les plus héroïques et réduit à
rien les vies les plus données. La mort des Galiléens sacrificateurs et celle
de ceux écrasés par la tour de Siloé est cette mort-là. Une mort sans fruit,
pire, une mort qui rend stériles les arbres les plus féconds en détruisant les
racines, le tronc, les branches et les fruits. Ce peut-être une philosophie de
vie : mangeons et buvons car demain nous mourrons. Cette mort n’aurait pas
de vainqueur, elle serait un point final contre lequel toute lutte serait
inutile. Nous ne pourrions alors vivre qu’en retardant autant que possible l’heure
dernière et en travaillant à oublier qu’un point final fermera nos vies.
Il est une autre mort : celle
de Jésus. Apparemment semblable vue de l’extérieur – un condamné supplémentaire
du régime romain –, elle s’en démarque pourtant radicalement car elle porte le
fruit de la résurrection. Sur la croix, Jésus est mort et vraiment mort ;
pourtant, comme le feu ne parvint pas à consumer le buisson duquel Dieu
s’adressait à Moïse, la mort n’eut pas, cette fois-ci, le dernier mot. Si le
buisson ardent ne se consume pas, c’est que Dieu y est présent. Si Jésus a traversé
la mort, c’est parce qu’il est Dieu. Tout fane, tout passe, tout meurt, sauf
Dieu vivant à jamais. Au jour dernier, il restera de nous ce qui est enraciné
en Dieu, notre existence se jouera dans la manière même dont nous recevons de
lui la vie. L’arbre sera coupé de toutes ses autres sources de subsistance par
la mort, et c’est du Seigneur que nous recevrons une vie nouvelle.
Si vous ne vous convertissez pas… L’enjeu que pointe du doigt le
Christ est notre vie par-delà la mort. Il restera de nous ce qui aura été
abandonné à Dieu et sur lequel la mort n’aura donc aucun pouvoir. L’entraînement
à mourir se fait dans toutes les morts de nos vies : les personnes qui
partent et nous déchirent, les tempêtes qui nous ramènent des années en arrière
détruisant une œuvre que nous pensions solide, les ténèbres du deuil dans
lesquelles nous cherchons la lumière de l’espérance alors que tout est perdu…
autant d’épreuves qui mettent notre liberté dans une alternative :
chercher à retenir ce qui déjà fuit et coule dans nos mains comme de l’eau, ou
s’abandonner entre les mains de Dieu qui fera porter du fruit à l’arbre mort.
Chacun de ces moments nous
prépare au dernier combat que sera l’heure de notre mort. L’heure décisive dans
laquelle Dieu ne pourra sauver de nous que ce que nous aurons remis entre ses
mains. Nous pouvons le lui livrer dès aujourd’hui en disant avec le curé
d’Ars : Je vous aime, ô mon Dieu, et
mon seul désir est de vous aimer jusqu’au dernier soupir de ma vie. Je vous
aime, ô Dieu infiniment aimable, et j’aime mieux mourir en vous aimant que de
vivre un seul instant sans vous aimer. Je vous aime, ô mon Dieu, et je ne
désire le ciel que pour avoir le bonheur de vous aimer parfaitement. Je vous
aime, ô mon Dieu, et je n’appréhende l’enfer que parce qu’on n’y aura jamais la
douce consolation de vous aimer. Ô mon Dieu, si ma langue ne peut dire à tout
moment que je vous aime, du moins je veux que mon cœur vous le répète autant de
fois que je respire. Ah ! Faites-moi la grâce de souffrir en vous aimant, de
vous aimer en souffrant, et d’expirer un jour en vous aimant et en sentant que
je vous aime. Et plus j’approche de ma fin, plus je vous conjure d’accroître
mon amour et de le perfectionner. Amen.
Saint-Michel – 28 février 2016