
Homélie du 3ème dimanche de l’avent
Le Seigneur a levé les sentences qui pesaient sur toi
Cette semaine le pape François
a ouvert l’année de la miséricorde. Elle nous dit l’amour inépuisable de Dieu
pour chacun de nous. Dieu est amour, il ne cesse pas d’aimer, et il aime d’un
amour particulier les hommes et les femmes que nous sommes. Cet amour est
éternel. La merveille est qu’il n’a pas cessé le jour où l’homme s’y est
refusé, s’en est détourné et s’est retourné contre Dieu. Ce jour-là, sans un
regret, Dieu a continué à aimer, il a même redoublé d’amour : il est allé
chercher Adam qui lui échappait, et comme cela ne suffisait pas il est allé
chercher l’humanité en se faisant homme. La première joie du pécheur est alors de
se découvrir aimé quand cela ne semblait plus possible. Le fils prodigue
rentrant à la maison se voit en ouvrier et découvre l’amour du Père, plus grand
qu’il ne pouvait l’imaginer. Dieu est
plus grand que notre cœur (1 Jn 3, 20).
Cependant, cette joie de se
savoir attendu est parfois mêlée. En effet, si l’amour de Dieu n’a pas changé,
le cœur de l’homme a été déchiré par le mal et il voit cet amour à travers sa
blessure. Nous savons que l’amour des autres peut nous être une douleur. Nous
ne supportons plus de voir se pencher sur nous les yeux de l’ami diffamé, du
conjoint trompé, du maître trahi. Nous voudrions retourner leur photo, les
éviter, les fuir, nous redoutons la confrontation, pourtant seule à même de
nous libérer. Nous vivons la même expérience dans la crainte dont nous sommes
envahis en nous approchant de la confession. En nous naît l’espérance d’une
nouveauté impensable, cependant nos cœurs ont encore du mal à y croire et ils
craignent de s’approcher.
Quand nous laissons la
miséricorde nous regarder en face, nous sommes alors tentés de baisser le
regard, nous retenons notre joie, nous n’osons pas y croire. L’espérance du
salut qu’elle fait grandir en nous s’accompagne aussi d’une certaine
appréhension de ce qu’il va nous en coûter de nous livrer au soleil de l’amour
de Dieu. Dans le regard miséricordieux de notre divin maître, nous voyons les
hauteurs vers lesquelles il nous appelle, cette ambition nous émerveille,
toutefois nous nous arrêtons parfois aux cailloux du chemin : les vérités
à faire, les aveux à prononcer, les compromissions à abandonner, les paroles à
dire et les gestes à poser pour que cet amour miséricordieux porte du fruit en
nous. Nous nous approchons donc du confessionnal avec une certaine crainte dans
laquelle sont mêlées la joie d’être aimé et la honte de ne pas assez aimer, le
bonheur de savoir que nous valons plus et la conscience de notre incapacité à
répondre aux exigences du pardon.
Il en est ainsi depuis le
premier péché. J’ai entendu ta voix dans
le jardin, j’ai pris peur parce que je suis nu, et je me suis caché. Nous
avons beau savoir que la miséricorde est l’unique remède à notre mal et
connaître les richesses inépuisables de l’amour divin, nous sommes tentés de
nous cacher loin de la face du Seigneur. Nous entendons la voix de Dieu, elle
retentit par la bouche du pape François, son serviteur, l’appel de la
miséricorde perce nos oreilles ; seulement, nous prenons peur parce que
nous sommes nus, c’est-à-dire faibles, pauvres, démunis pour répondre à la grandeur
de notre vocation.
Le pire serait d’en arriver à fuir la
seule issue qui soit ouverte sous prétexte qu’elle nous paraît inaccessible. De nos
ténèbres, nous voyons une lumière à travers un trou d’aiguille. Elle nous semble
désirable, nous aimerions tellement vivre dans cette sainteté-là et pourtant,
nous nous y refusons par crainte d’être broyés dans l’étroit passage qui y
mène. Nos cœurs y sont effectivement broyés ; toutefois, alors même qu’ils
se livrent pour être pétris par l’amour de Dieu, ils nous sont rendus nouveaux.
Dans le feu du pardon, le Seigneur brûle
la paille, et aussi la poutre, pour rendre nos vies à la lumière. Il nous baptise dans l’Esprit Saint et le
feu. Nous brillons alors de la clarté de Dieu. Les saints ne sont pas moins
nus qu’Adam, ils ne sont pas moins faibles que nous, ils sont simplement
devenus plus transparents et c’est Dieu que l’on voit à travers. En désirant
nous faire miséricorde, le Seigneur nous appelle à ce rayonnement-là.
C’est l’arrivée au col après la
dure montée, la sortie du confessionnal, le bonheur du pardon reçu, et la
miséricorde laisse alors en nous son empreinte qu’est la joie. Elle est un
fruit reçu, elle vient sans prévenir signer l’œuvre de Dieu. Nous avions livré
nos vies dans cet étroit passage où nos cœurs ont été broyés ; et voici
qu’à la sortie du tunnel, au passage de la porte sainte, un immense paysage est
ouvert pour nous. Des possibilités jusque là impensables ou ignorées nous sont
ouvertes, des zones inertes de nos âmes retrouvent leur force, des relations
mortes reprennent vie. Notre cœur nécrosé retrouve sa jeunesse alors que coule
dans nos artères la vie même de Dieu. Amen.
Saint-Michel – 13 décembre 2015