
Homélie du 2ème dimanche de l’avent
Tout être vivant verra
le salut de Dieu
Au moment de l’Ascension, les
anges nous ont laissé cette énigmatique promesse : Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même
manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel (Actes 1, 11). Tous nos désirs appellent
celui-ci : que ton règne vienne. Notre
présent est tendu entre passé et avenir. Le passé
est celui de la venue de Dieu dans l’histoire. Luc insiste pour signifier que
cet avènement eut bien lieu à un moment du temps. L’an quinze du règne de l’empereur Tibère… La parole de Dieu fut adressée dans le désert, à Jean. Nous
attendons quelqu’un qui est déjà venu. Le futur
est celui de son retour dans la gloire. Tout
homme verra le salut de Dieu. C’est inéluctable. Tous le verront. Et entre
les deux ? Nous attendons. C’est déjà désagréable d’avoir l’impression de
perdre son temps quand on vient de rater le bus et qu’il faut attendre le
suivant, or voilà 2015 ans que l’humanité attend. Quelle perte de temps ! Que
faire de cette attente ?
L’avent est justement là pour
nous l’apprendre. Nos vies entières peuvent se résumer à une immense attente.
Nous attendons sans cesse que se réalisent nos désirs et lorsqu’ils
s’accomplissent, d’autres naissent pour nous faire espérer plus encore. Nous passons
ainsi d’attente en attente, tendus vers un demain qui ne devient jamais
aujourd’hui, guettant tellement l’avenir que nous ne vivons pas le présent,
c’est-à-dire que nous ne vivons pas. Seule la mort semble pouvoir mettre un terme
à cette fuite en avant inutile, et la durée de l’attente paraît être un pur
gâchis, ne servir à rien à tel point qu’on se demande pourquoi le Seigneur a
ménagé un temps entre sa venue sur terre et son retour dans la gloire. C’est
que nous ne savons pas attendre.
Notre expérience oppose le temps
de l’attente et le temps de la réalisation du désir, les fiançailles et le
mariage, les travaux et l’emménagement, et nous imaginons qu’il en va de même
de l’avent et de Noël. Pour nous, l’attente n’est que le chemin vers le but,
nous nous en passerions bien comme les enfants supprimeraient bien les vingt-quatre
premiers jours de décembre pour arriver directement au matin des cadeaux. Or, en
réalité, le don que Dieu veut nous faire se trouve dans l’attente elle-même
autant qu’à son terme, ou plus exactement, nous ne pourrons goûter pleinement à
la présence de Jésus lors de son retour dans la gloire que si nous y goûtons
déjà en l’attendant. La durée que Dieu ménage entre son incarnation et la fin
des temps n’est pas simplement tendue entre deux avènements qui seuls compteraient,
elle est le temps de Dieu. C’est la raison pour laquelle nous comptons les
années en démarrant à sa naissance. D’ailleurs, nous ne sommes pas 2015 ans
après Jésus-Christ, nous sommes en l’année 2015 de la présence de Jésus-Christ
parmi nous ou, comme on le disait anciennement, en l’an du Seigneur 2015. Ce temps ne nous sépare pas cruellement du
cadeau, il est le cadeau ; l’attente n’est pas la barrière entre Jésus et
nous, c’est là que nous pouvons le trouver. Dieu ne nous rencontre plus il y a deux
mille ans, il ne nous rencontre pas encore dans sa gloire finale. Il ne nous
rencontre même pas le 25 décembre prochain, il nous trouve ici, maintenant. C’est
dans le présent que se joue notre sainteté. Le salut, il est advenu, et il
adviendra. Tous le verront. Il est déjà donné. Et cependant, nous ne le
recevons qu’au présent.
Préparez le chemin du Seigneur s’entend
donc au présent. Il ne s’agit pas tant d’accomplir des actions extérieures qui
demanderaient des efforts et de la volonté que de désirer être attentif,
d’ouvrir son cœur à celui qui vient, ou plutôt de laisser ouvrir son cœur par
celui qui vient. Nos actions nous mentent lorsqu’elles nous font croire que nous
obtiendrons ce que nous voulons avec nos propres forces. « Les biens les
plus précieux ne doivent pas être cherchés, mais attendus » (Simone Weil, Attente de Dieu), ils ne sont pas l’œuvre de notre travail, ils
sont reçus, notre labeur ne fait que nous disposer à les recevoir. Ce paradoxe
se trouve d’ailleurs dans l’évangile d’aujourd’hui puisque l’actif et le passif
s’y répondent : rendez droit ses
sentiers […] les passages tortueux deviendront droits. Notre
œuvre principale est de trouver cette forme de passivité active qu’est la
véritable attention : un moment d’écoute
vraie, d’ouverture du cœur aux besoins d’un autre ou de prière attentive aux
appels de l’Esprit. C’est l’attention qui nous ancre dans le présent et nous
fait y trouver le Seigneur. Lui est présent, toujours, c’est nous qui sommes
ailleurs tant que nous ne nous arrêtons pas ; être présents à notre
présent, c’est immédiatement le rencontrer. De là, jaillit la seule action qui
puisse porter un fruit qui demeure.
Le temps de l’avent nous attache donc
à l’aujourd’hui. Nous cessons d’attendre demain et commençons à être attentifs
au présent. C’est notre maintenant que nous prenons à bras-le-corps. Il y a là
une ascèse de l’esprit : stopper les « quand je serai ceci »,
« quand je serai cela » et ouvrir notre regard, notre oreille et
notre cœur à celui qui est présent et à ceux qui nous entourent aujourd’hui.
Cette attention ouvre en nous le
chemin de l’espérance, le seul regard sur l’avenir qui soit ancré dans le présent,
car elle nous fait découvrir la présence de Dieu ici et maintenant, elle nous
révèle la lumière qui habite tout être, et nous dévoile son retour par l’action
encore mystérieuse qu’il accomplit aujourd’hui dans les cœurs. Amen.
Saint-Michel – 6 décembre 2015