Sous son empire

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Homélie du Christ-Roi

Mon royaume n’est pas
de ce monde
 

Une des erreurs de notre temps
est de croire qu’il faut décapiter le roi pour être libre. « Ni Dieu, ni
maître » est encore la devise implicite de beaucoup de nos organisations
et elle guide souvent notre action sans même que nous le sachions. Derrière
celle-ci se tient notre désir profond d’autonomie. Nous voulons être nous-mêmes
et pour cela, il nous faut ne plus dépendre des autres : cette affirmation
qui semble aujourd’hui d’une logique imparable est fausse.

Ce n’est pas en nous débarrassant
de nos parents que nous devenons libres, c’est en reconnaissant mieux ce que
nous leur devons autant que ce qui nous distingue d’eux. À vouloir ne tenir
qu’un des aspects – la distinction d’avec nos géniteurs – nous perdons de vue
la vérité de notre être. Reconnaître que nous ne nous sommes pas donné la vie à
nous-même, c’est commencer à être libres. Ce qui est vrai de notre relation à nos
parents l’est bien plus de notre relation à Dieu, car lui ne nous donne pas
simplement la vie à l’origine mais à chaque instant. Il nous crée en continu ;
d’ailleurs, s’il cessait de désirer notre existence, nous cesserions d’exister.
Nous construire en opposition à lui, c’est donc scier les racines qui font
couler la sève de la vie dans nos veines ; être davantage nous-mêmes passe
par la reconnaissance de celui qui est notre maître et notre roi.

Sa royauté est passée pour nous par
des médiations, des êtres placés sur notre route pour nous guider vers lui. Nous
commençons en vérité à devenir une personne libre quand nous savons reconnaître
ces maîtres. L’homme qui croit qu’être libre c’est être tout-puissant – sans
origine ni éducation – peut être sûr de tomber dans les chaînes d’un autre
esclavage. Il ne peut y avoir d’hommes véritables sans maître. Les bons maîtres
nous ont été donnés pour que nous en devenions les libres disciples, pour nous
aider à grandir droit et nous mener au-delà de nous-mêmes. À vouloir les
ignorer, nous finissons forcément dans les chaînes de faux maîtres, et d’autant
plus violemment que nous nous imaginons affranchis de toute obéissance; le
grand risque que nous courons alors est de nous transformer en esclaves de
notre propre volonté de puissance : étrange prison qu’un homme se forme
lui-même en s’enfermant dans son autonomie.

Nos cœurs ont soif d’un roi qui les conduise sans les enchaîner, qui les dirige
sans les asservir, qui les libère par son règne. Si nous ne le trouvons pas,
nous nous attachons au premier venu qui peut nous entraîner vers le pire. En se
présentant comme notre roi, Jésus répond à notre désir. Le voici notre pasteur.
Devant l’abaissement de celui qui se laisse juger, tout innocent qu’il est, de
ce berger qui se livre pour son troupeau, nous pouvons lui faire confiance pour
ne jamais chercher à se nourrir de nous comme le font les mauvais maîtres. Au
contraire, il est le roi qui nous nourrit de sa vie. Lui, il est le plus libre.
La conscience de l’amour incessant du Père lui donne une liberté de parole,
d’action et de vie à nulle autre pareille. Il est affranchi de tous les faux
maîtres car il s’est définitivement livré au seul véritable. À notre tour, nous
pouvons entrer dans cette liberté véritable, en choisissant Jésus pour notre
roi, en sachant que ce maître-là ne nous abandonnera jamais, en entrant dans la
confiance en celui qui nous a tout donné.

L’ayant ainsi choisi, nous
deviendrons à notre tour des maîtres pour d’autres : pour nos enfants,
pour ceux qui cherchent un roi ou pour ceux qui errent à la recherche d’un
maître. Ce sont les plus fragiles et les moins libres qui risquent de
s’attacher à la première idéologie venue qui les emprisonnera. Reconnaissons la
royauté véritable : celle qui rend la liberté à son peuple. Si nous laissons
le Christ régner en nous, nous pourrons à notre tour rendre les autres libres
par le don de notre vie dans nos actes et nos paroles, nous pourrons les
tourner vers le seul Roi. Le Christ nous a donné sa royauté en partage. Par le
baptême et par l’empire de Jésus sur nos cœurs, nous sommes rois, rois à son
image, c’est-à-dire appelés à crucifier en nous la volonté de puissance pour
nourrir les autres de la vie même de Dieu. Notre royauté n’est pas de ce monde,
elle est des cieux ; elle n’agit pas avec les moyens des pouvoirs humains,
elle est une influence sur les cœurs ; elle n’est pas un pouvoir absolu,
elle est la reconnaissance du seul vrai Roi, l’Alpha et l’Oméga, le Souverain
de l’univers qui fait toutes choses nouvelles. Amen.

 Saint-Michel – 22 novembre 2015