La lumière jaillira

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Homélie du XXXIIIème dimanche du temps
ordinaire 

Ce sera un temps de détresse comme il n’y en a
jamais eu,

Mais en ce temps-ci, ton peuple sera délivré.

Aujourd’hui, alors que la blessure de notre
création semble s’ouvrir en grand tout près de nous et que nous ne pouvons pas
nous voiler la face sur l’état de notre monde, se rappeler de la bonté de Dieu
est salutaire. Il nous l’annonce dans cet évangile : lors de son retour,
il renouvellera toute chose, il détruira la mort, la souffrance et le péché en
nous et dans le monde, ouvrant ainsi la voie au monde de justice et de paix que
nous entrevoyons déjà en lui et dans son Église.

En ces temps d’angoisse, cette attente soulève
en nous l’espérance ! Comment ne pas désirer que Dieu achève enfin son
œuvre ? Que s’accomplisse ce que nous n’arrivons pas à accomplir, que
cessent nos douleurs et nos inquiétudes, que s’arrête enfin cette inéluctable
loi qui fait que toute journée, même la plus lumineuse, possède sa part de
ténèbres et qu’une belle journée et une victoire de l’équipe de France contre les
champions du monde puissent être noircies, enténébrées par une poignée
d’individus pleins de haine !

Dieu va faire une œuvre de recréation, il
va établir un règne de justice et de paix. Ce n’est pas simplement un grand
soir lointain, nous y participons déjà. Nous y collaborons tout d’abord par la
mise à bas des ennemis de la paix, par l’action politique, la réflexion sur les
conséquences de notre action dans et hors des frontières de notre pays, et par
l’usage des forces armées pour nous défendre quand et où il le faut.

Cependant, que la colère, l’angoisse et la peur
légitimes ne nous trompent pas, le vrai combat se joue à l’intérieur de
nous-mêmes si nous voulons qu’il porte un fruit durable à l’extérieur, car notre
drame est que le mal n’est pas simplement chez les autres. Le mal dont était
perverti le cœur de ces hommes qui se sont fait sauter, nous en sommes tous
blessés. Soljenitsyne, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il avait souffert
de l’injustice des hommes – enfermé pendant des années au goulag
– osait affirmer à propos de ses bourreaux : “Ah si les choses
étaient si simples, s’il y avait quelque part des hommes à l’âme noire se
livrant perfidement à de noires actions et s’il s’agissait seulement de les
distinguer des autres et de les sup­primer ! Mais la ligne de partage entre le
bien et le mal passe par le cœur de chaque homme et qui ira détruire un morceau
de son propre cœur ?” (L’Archipel du Goulag, I)

Tant que nous imaginons le mal comme extérieur
à nous, nous pouvons rêver et attendre que les gentils débarrassent la planète
des méchants ; mais lorsque nous prenons conscience de notre
responsabilité et de la part du mal qui est en nous, nous saisissons que l’éviction
du mal sera aussi douloureuse et joyeuse qu’un accouchement. Le peu
d’expérience que nous avons ici-bas de la conversion peut nous donner de
mesurer la joie que nos changements de vie et nos progrès nous ont donnée, tout
autant que la douleur à travers laquelle ces métamorphoses se sont produites. C’est
la douleur et la joie du confessionnal, nous y sommes à la fois broyés et
délivrés ; broyés par la culpabilité que fait apparaître la lumière divine
et en même temps délivrés par celle-ci qui nous libère de nos ténèbres.  

Ce qui est vrai de nous l’est aussi de la
France. Sans nier le mal trop évident qui habite nos ennemis, la paix et la
liberté de notre nation passent par un sérieux examen de conscience sur
l’origine de ce mal. Nous ignorons encore l’identité des terroristes de
vendredi mais nous savons que ceux du mois de janvier étaient français et
avaient grandi parmi nous. Ces hommes, nous les avons enfantés, nous les avons
éduqués, nous en rendrons compte. Ce n’est pas en éliminant les terroristes que
nous éradiquerons le mal car ils repousseront ailleurs, mais c’est en
supprimant ce qui dans notre nation est complice volontaire ou involontaire du
terrorisme. La France a sa part de responsabilité, mais là encore nous
pourrions trop vite accuser tel ou tel gouvernement, tel homme d’état,
etc. : une autre manière de mettre le mal à l’extérieur de soi. Il faut
certainement déterminer les fautes politiques, les erreurs stratégiques et les
errements diplomatiques qui ont pu favoriser le terrorisme, mais n’oublions pas
de nous demander en quoi nous y avons coopéré, sinon ce sera peine perdue.
Qu’avons-nous refusé de voir ? Quelle lâcheté nous a retenus ? En
quoi avons-nous participé et participons-nous à ce système qui fait produire à
notre pays des meurtriers ? La vérité n’est pas complètement faite tant
que nous n’acceptons pas de nous mettre tout entier sous la lumière divine
quitte à nous reconnaître au rang des complices.

Au dernier jour, cette lumière jaillira sur nos
vies. Bien sûr, nous devons craindre par-dessus tout que, en ce jour, notre
aveuglement nous empêche d’accueillir cette clarté, car alors c’en sera fini de
nous. Mais, aimant Jésus par-dessus tout, nous pouvons aussi nous y préparer en
nous laissant déjà illuminer par lui. Lorsque le Christ reviendra, ce ne sera pas plus facile
qu’aujourd’hui de faire la vérité, simplement plus soudain.

Dès à présent, avançons donc dans cette
lumière : présentons-lui les victimes de ces attentats afin qu’ils y
soient accueillis, confions-lui leurs familles afin qu’elles soient consolées
dans leur peine, osons lui remettre les assassins afin qu’elle puisse les
convertir, offrons-lui notre pays afin qu’il connaisse la véritable paix et
enfin entrons-y nous-mêmes en ne craignant pas que la Vérité soit faite en
nous. Amen.

Saint-Michel – 15 novembre 2015