Épée à deux tranchants

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Homélie du 28ème dimanche du
temps ordinaire

Dans un premier temps, la parole
de Dieu n’apparaît pas comme une consolation. Saint Paul nous en avertit, elle
va jusqu’au point de partage de l’âme et
de l’esprit.
L’homme riche le vit existentiellement alors qu’il s’en va tout triste après avoir entendu
le Christ. Pourtant, Jésus avait posé sur lui un regard d’amour ainsi que le
souligne l’évangéliste. Ce regard et cet amour sont à double tranchant, ils
s’accompagnent d’une parole déchirante. Être connu de Dieu et avancer dans sa
connaissance, c’est immédiatement entendre cette parole. Il n’y a pas de
consolation sans le passage par une déflagration intérieure dans laquelle nous
percevons la distance à laquelle nous sommes de l’appel. Avant de nous unifier,
la parole manifeste notre division.

Reconnaissons que les apôtres qui
avaient répondu si promptement à l’appel de Jésus ont quelque chose
d’inquiétant. Viens suis-moi et il le
suivit.
Seul un miracle permet de lâcher en une seconde ce à quoi nous
avions consacré des années. S’il faut espérer et même réclamer ce miracle, s’il nous faut aussi livrer le combat qui nous l’obtiendra, nombreux sommes-nous qui
restons au seuil de cette grâce. Nous avons entendu l’appel, nous voudrions
suivre le Christ sans réserve mais tant de choses nous retiennent dont nous ne
savons comment nous défaire : richesses bien sûr, mais aussi confort d’une
position établie, habitudes anciennes, crainte de l’avenir, etc. Pourtant, il serait faux de dire que
celui qui n’a pas suivi immédiatement Jésus n’a rien entendu de la parole. Ce
n’est pas parce qu’il nous reste tant de choses à lui livrer que nous n’avons
rien écouté, la preuve en est que nous souffrons de notre situation instable,
tendus entre l’appel du ciel et les sirènes du monde. Celui qui n’a rien
entendu ne souffre pas, il est content de son sort et se réjouit de vivre ainsi,
mais dès lors que la parole a résonné à nos oreilles et pénétré nos cœurs, nous
ne pouvons plus vivre comme avant. Il peut même nous venir l’idée que nous
aurions été plus tranquilles sans l’avoir entendue, sans ce désir qu’elle a
éveillé en nous d’un don plus grand, d’un bonheur plus fou, bref de la vie
éternelle.

Répondre à la parole de Dieu est
une expérience faite de temps et de douleur. Cet homme riche ne suit pas
immédiatement le Seigneur, il est tout d’abord attristé par la parole qu’il
vient de recevoir, abattu par la radicalité de l’appel en regard de tout ce qui
lui reste d’attachement aux choses de la terre. Telle l’épée, la parole est
venue le déchirer, c’est le premier travail de la parole de Dieu en nous. Pour
nous faire trouver l’unité de notre personne, elle commence par nous manifester
combien nous sommes partagés, divisés, combien notre désir s’attache à ce qui
ne peut vraiment le rassasier et combien le Seigneur est le seul qui puisse
nous combler. Elle nous montre la lumière et révèle nos ténèbres. Nous
ressentons alors davantage l‘éloignement d’avec l’objet de notre désir.

Pourtant, il s’en va cet homme.
Nous ne savons pas ce qu’il est devenu mais les paroles de Jésus sur la
difficulté pour les riches d’entrer dans le royaume de Dieu ne sont pas de bon
augure. Il s’en va et c’est certainement sa plus grande erreur. Au lieu de se
livrer davantage à cette parole qui le blesse, il choisir de partir loin d’elle
et s’attache à l’oublier. Il renonce complètement plutôt que d’avouer son
incapacité, sans doute eût-il mieux valu pour lui livrer à Jésus sa blessure, lui
confesser son incapacité, tomber à genoux en disant : « viens au
secours de mes faiblesses ». Le Seigneur ne réclame jamais rien de nous
sans désirer aussi nous donner les moyens de l’accomplir. Si sa parole nous
brûle, elle nous invite aussi à nous livrer à ce feu, à nous laisser embraser
pour réaliser en nous ce à quoi elle nous appelle. C’est un processus qui prend
toujours du temps. Pour revenir aux apôtres, ils semblent avoir suivi Jésus
sans un regard en arrière, or, à d’autres moments, l’évangile nous les montre
infidèles et traîtres à leur maître ; eux aussi ont connu cette heure de
déchirement entre l’amour de Dieu et le souci de conserver sa propre vie. Attachons-nous
donc à lui, laissons-nous blesser par sa parole, ouvrons-lui nos cœurs et
mettons-nous à ses pieds en lui disant que nous aimerions tout lui abandonner
mais que nous n’en trouvons pas les forces. Sa parole nous brûlera davantage,
elle travaillera en nous et nous livrera petit à petit tout entiers à lui. Il
nous donnera sa force, il nous mettra à la hauteur de notre vocation, il fera
de nous des êtres de lumière. Alors, viendra la consolation tandis que nous
l’écouterons parler à nos cœurs réconciliés. Amen.

Saint-Michel – 11 octobre 2015