
Homélie du 27ème dimanche du temps ordinaire
Ils ne feront plus
qu’un
Le Christ nous révèle une vérité
de l’amour humain que lui seul peut nous donner de réaliser. Cette richesse,
l’Église la porte jusqu’à aujourd’hui : un homme et une femme peuvent ne
faire plus qu’un. Nous ne parlons pas là simplement de l’instant fugace d’une
union sentimentale et charnelle mais bien de l’union parfaite de deux
êtres. Un homme et une femme peuvent ne faire plus qu’un à tel point qu’on
ne puisse plus les séparer et sans pour autant que leurs personnes soient dissoutes.
Le moins que l’on puisse dire
c’est que nos contemporains ne croient plus trop à cette possibilité, elle leur
apparaît dans le meilleur des cas comme un rêve et la plupart du temps comme
une illusion. L’amour est alors réduit à son caractère sentimental et forcément
éphémère. Certains y ont cru, s’y sont blessés et aujourd’hui en reviennent
déçus. D’autres n’osent plus s’y risquer. La plupart n’imagine même pas que ce
puisse être une possibilité et la quête d’une vie. Pourtant, le chemin de cette
aventure humaine fait partie des plus grands trésors de notre foi. Homme et femme, il les créa, le couple
humain est le sommet de la création. Il est le lieu où se manifeste l’image de
Dieu en nous.
On s’arrête souvent sur la
deuxième partie de la phrase : Ce
que Dieu a uni que l’homme ne le sépare pas, au risque d’oublier la
première moitié. C’est Dieu qui unit et l’union est à son image. Le Seigneur
est le seul qui puisse donner les clefs pour entrer dans le mystère de l’autre,
il est le seul qui puisse faire durer un amour. L’amour humain est souvent
passager car il est livré aux mille et un changements de nos cœurs, l’amour que
nous propose le Christ est le même amour humain mais parfait, achevé, accompli
par Dieu. De même qu’à la messe, nous apportons le vin qui devient le sang du
Christ, les fiancés déposent au jour de leur mariage leurs personnes sur
l’autel pour que le Seigneur fasse de leur amour une réalité nouvelle et
purement divine. Alors, leur amour n’est plus simplement le vin produit par la
création et le travail de l’homme – qui vient toujours à manquer comme à
Cana – mais c’est un vin nouveau, d’un arôme divin donné par le Seigneur à
ceux qui s’avancent avec foi et persévérance.
Ce vin-là est tiré au pressoir de
la Croix. Il vient toujours un moment où le premier vin est bu, où l’autre dont
j’attendais la consolation se transforme pour moi en douleur, où sa présence
même qui devait m’être délicieuse me devient odieuse. On découvre alors que l’amour
est d’accepter de perdre sa vie, d’y laisser sa peau, de se laisser vider de
son sang, bref, d’être configuré au Christ en croix. C’est l’instant de
l’épreuve qui, en nous plongeant tout entier dans le don de soi, vérifie
l’amour vrai. Serai-je capable de tout
donner pour mon époux, mon épouse ? La question se pose forcément à ceux
qui n’ont pas renoncé et la réponse vient très vite et très claire : non.
Nous ne sommes pas capables d’un amour vrai. Notre cœur est trop dur, trop sec
et il réclame d’être abreuvé pour pouvoir à son tour jaillir en source. On
comprend que Moïse ait permis dans ces conditions la répudiation, c’était
simplement et honnêtement reconnaître l’incapacité de l’homme à accomplir
l’idéal que Dieu lui présentait.
Jésus revient à l’origine et à ce
pour quoi nous sommes faits. Désormais, quelque chose a changé : enfin,
homme et femme vont pouvoir se connaître et goûter au bonheur auquel Dieu les
appelle depuis toujours. La Passion leur a réouvert la voie. En mourant sur la
croix, en pardonnant ses bourreaux, en laissant transpercer son cœur, Jésus a,
pour la première fois de l’histoire de l’humanité, posé un acte d’amour
purement gratuit. Il s’est livré sans rien exiger en retour. C’est à l’ombre de
la Croix que tout amour peut grandir et s’affermir. Les racines de la joie sont en forme de croix disent les pères du
désert. La joie véritable que nous pourrons tirer de l’amour humain passe par
la croix, elle est le lieu où j’apprends la gratuité, elle est le lieu où, en
me laissant dépouiller de tout y compris de moi-même, je laisse le Seigneur me
donner l’amour vrai. Cette croix, nous n’étions pas capables de la porter,
encore moins de monter dessus. Il l’a fait pour nous. Désormais c’est en
tournant nos yeux vers celui qui est étendu sur cette croix que nous pourrons
le laisser combler nos cœurs de l’eau dont ils ont tellement soif. Lorsque nous
désespérons de notre capacité à aimer, lorsqu’il nous semble impossible de
rester encore fidèles, lorsque notre cœur nous semble dur comme pierre,
tournons-nous vers celui qui peut nous combler et faire jaillir en nous une
source nouvelle. Demandons-lui de renouveler pour nous le miracle de Cana.
Soyons sûrs qu’il peut faire couler en nos veines un vin nouveau qui
renouvellera en nous l’amour et nous donnera la joie véritable. Amen.