Pieds et poings liés

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Homélie
du 26ème dimanche du temps ordinaire

Là où le feu ne s’éteint
pas
 

On
voudrait échapper à ces phrases : Si
ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la. Si ton pied est pour toi
une occasion de chute, coupe-le. Si ton œil est pour toi une occasion de chute,
arrache-le.
Il n’y a pourtant pas moyen de les contourner, elles
apparaissent dans leur brutalité et leur netteté car Jésus les a voulues telles.
Le médecin administre un remède de cheval devant la gravité du danger : il
ne s’agit pas moins que du salut de notre âme. Quand quelqu’un est en danger de
mort, on ne se lance pas dans des calculs d’apothicaire, on sauve ce qui peut
être sauvé, on retire ce qui est déjà perdu de peur que la tumeur ne gagne le
corps tout entier.

On
sait la violence avec laquelle les pompiers agissent. Ils enfoncent les portes
et défoncent les toits à coup de hache, ils inondent les planchers et les murs.
Devant le feu, ils doivent agir vite et efficacement avant que la maison, le
quartier ou la ville toute entière ne soit réduite en cendres. Mieux vaut pour toi entrer borgne dans
royaume de Dieu que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux yeux, là où le
ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas.
L’image est forte et sans
nuance : avant que le feu ne nous consume tout entier, arrachons avec
courage ce qui est atteint par le mal.

Il
ne s’agit pas simplement de retirer le péché mais même ce qui entraîne au péché. Nous sommes prêts à
entendre que le mal doit être expulsé et nous désirons certainement en être
affranchis, mais ce qui nous arrête c’est le sacrifice nécessaire. Nous
hésitons à appeler les pompiers, nous espérons encore nous en sortir sans trop
de dégâts mais il n’y aura pas de salut sans une forme d’amputation car en
l’occurrence la tumeur a trop gagné : on ne se débarrassera pas du mal
sans renoncer aux organes qu’il a touchés. Il s’agit donc de sacrifier des
biens légitimes. En parlant de la main, du pied et de l’œil, Jésus évoque les
biens qu’il nous a donnés mais que nous avons retournés contre lui. Nous
aurions pu tout recevoir de lui et vivre avec ces biens dans la paix, mais nous
avons mis la main sur les bienfaits de Dieu, nous les avons tournés contre nos
frères, nous les avons érigés en idoles. Pour en sortir, il faudra passer par
une purification c’est pourquoi il n’y a pas de salut chrétien sans ascèse.
Nous ne retrouverons notre œil lumineux, nos mains ouvertes et nos pieds alertes
que si nous les déposons entre les mains de Dieu en jeûnant, en priant et en
faisant l’aumône. 

Notre
œil, fenêtre ouverte sur le monde, créé pour contempler la beauté livrée à
notre regard, est devenu la source de notre convoitise. Il capte, il retient,
il enferme. Il nous entraîne au péché en faisant de nous des prédateurs. Nous
l’arracherons en jeûnant, en nous refusant à nourrir notre faim pour présenter notre
désir béant devant Dieu. Ce faisant, nous laisserons le Seigneur convertir notre
regard pour retrouver notre capacité d’émerveillement. La bouche grande
ouverte, nous attendrons du Seigneur seul la nourriture qui peut nous combler. 

Nos
pieds, faits pour accourir vers le Seigneur, ont fait demi-tour et sont devenus
les organes qui nous éloignent de lui. Ils s’impatientent, ils battent
frénétiquement lorsque nous sommes retenus et que nous nous ennuyons, ils se
refusent à plier pour adorer celui qui nous attend. Nous les couperons en nous
arrêtant, en prenant le temps de la prière. Nous les poserons et leur
refuserons de nous emmener ailleurs. Nous les ligoterons à un prie-Dieu s’il le
faut. Le Seigneur seul sera nos pieds, il nous attirera à lui, il prendra ce
temps que nous lui donnons pour nous le rendre transformé et faire de ces
heures sacrifiées le commencement d’une marche nouvelle à sa suite. 

Nos
mains, façonnées pour tout recevoir de Dieu et des autres, se sont fermées de
peur de perdre le peu que nous croyions avoir. Mais nos richesses ont pourri
dès lors qu’elles étaient détachées du donateur. Ces mains nous les couperons en faisant l’aumône, en donnant largement, en sacrifiant ces possessions pour
nous en remettre au Seigneur qui est la seule assurance. De sa main, nous
recevrons tout.

Jeûne,
prière et aumône sont le programme du chrétien en chemin vers le ciel – et pas
seulement pour le carême. Ils sont les antirouilles les plus efficaces de notre
vie spirituelle, ils nous rappellent tous trois à l’essentiel. La médication
est radicale mais elle est urgente avant que notre cœur ne soit atteint par le
mal et définitivement perdu, avant que la rouille ne dévore notre chair comme un feu. Abandonnons-nous par ces trois
moyens entre les mains de Jésus afin qu’il puisse nous rendre guéris nos mains, nos pieds et nos yeux et que nous entrions à sa suite
dans le Royaume de Dieu. Amen.

Saint-Michel
– 27 septembre 2015