
Homélie du 17ème
dimanche du temps ordinaire
« Autant qu’ils
en voulaient »
Nous sommes tous des mendiants de la vie spirituelle. Nous
avons tous faim de plus. Il y a en chacun de nous une pauvreté originelle qui
crie : « davantage !». S’il nous semble parfois être repus pour
aujourd’hui, nous craignons de manquer pour demain. Devant la profondeur de
cette faim et le peu que nous avons en réserve – nos cinq pains et deux
poissons – nous pensons avec les disciples : « qu’est-ce que
cela ! », « le salaire de deux cent journées ne suffirait pas à
me nourrir ».
Alors nous nous établissons des assurances, des richesses
intérieures et extérieures qui masquent maladroitement notre dépouillement.
Comme une rose se croit terrible avec ses épines et se rassure comme elle peut,
comme un enfant fait de sa couette une fortification contre les monstres qui
l’assaillent, nous nous entourons de remparts. On ne se moque pas d’un enfant
qui a peur et se défend avec des moyens imaginaires, on le prend dans ses bras
et on lui promet de le protéger. Nous nous gonflons de nos petites forces et
Dieu ne se rit pas de nous, il nous regarde avec affection, il prend au sérieux
nos peurs et sait que nous avons besoin de lui.
Le vrai problème arrive quand on se met à croire que nos assurances
imaginaires sont réelles. Lorsque nous étions enfants, ce n’était qu’un jeu.
Nous nous imaginions invulnérables, nous nous construisions une cabane
inexpugnable, mais nous savions bien qu’en réalité nous avions besoin de nos
parents. Nous galopions dehors prêts à affronter tous les bandits, sans crainte
des Indiens imaginaires, mais à la moindre chute réelle, nous courions nous
refugier auprès de notre mère, sur les genoux de notre père. Leurs bras nous
protégeaient, leurs paroles nous apaisaient et leur présence éteignait notre
angoisse.
Adultes, par crainte de dépendre des autres, parce que nous
avions été déçus ou parce que nous n’avions plus personne vers qui nous
tourner, nous nous sommes construit des cabanes. Ce ne serait rien si nous en connaissions
la fragilité, si nous savions leur illusion et si nous nous tournions vers le
vrai secours quand nous en avons besoin. Notre drame c’est que nous les
imaginons bien réelles. Nous en avons fait des forteresses. Elles semblent
fortes, mais en réalité elles ne peuvent nous protéger de rien car elles
n’empêcheront pas notre ennemi d’entrer, elles ne nous feront pas échapper à la
mort. En revanche, elles peuvent nous empêcher de sortir. Nous les avons
construites pour nous protéger et voilà qu’elles se referment sur nous pour
devenir nos tombeaux. Les protections se transforment en malédiction ; citadelles
imaginaires, elles deviennent des prisons véritables car quand vient un coup
dur, nous les renforçons en nous y enfonçant plutôt que de nous ouvrir au seul
qui puisse nous sauver.
Vient Jésus comme un bon pasteur. Aux foules inquiètes, il
donne le pain. Le pain, on ne le garde pas pour le lendemain. Jésus ne
multiplie pas les champs, il ne donne pas des terres que nous risquerions de
nous accaparer pour notre malheur. Il rétablit le lien avec le donateur. Il
multiplie le pain car on ne peut en faire des réserves : nous serons
forcés de revenir à la source inépuisable qu’il est. Sa grâce ne s’épargne pas,
il nous l’offre en continu. Elle pourrit loin du donateur et perd de sa saveur.
Les paniers qui restent ne sont pas des réserves, ils disent comment ce don se perpétue
dans les siècles. Ils sont au nombre de douze comme les apôtres sur lesquels
est fondée l’Église. Ces paniers sont l’image de cette Église dont la mission
est de dispenser ce pain jaillissant de manière intarissable. L’Église ne donne
que ce qu’elle reçoit du Christ. L’Église jaillit de l’eucharistie et
l’eucharistie jaillit de l’Église. La multiplication des pains en est le
symbole, elle nous montre Jésus se donnant à nous en surabondance à la messe. La
messe est notre secours, elle est la réponse à notre faim, elle nous dépouille
de nos assurances imaginaires pour nous donner la seule richesse qui demeure.
Dans l’adoration, Jésus nous regarde avec amour ; par sa parole, il nous libère
et nous rassure ; par la communion, il nous nourrit de sa vie. Amen.
Saint-Michel – 26 juillet 2015