
Homélie du 15ème
dimanche du temps ordinaire
Il nous a choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde.
Chacun de nous a une place
particulière dans le projet de Dieu. Aucun de nous n’est une pièce en trop. En
nous donnant la vie, Dieu a en vue le bien immense que nous pouvons faire et il
nous a confié une tâche particulière sur cette terre. Il nous connaît mieux que
nous-mêmes et c’est pourquoi il sait ce qui peut nous rendre heureux. Notons que
ce n’est pas forcément la même chose qui rendra heureux notre voisin. À chaque
heure du jour, il nous appelle par notre nom pour que nous travaillions à sa
vigne au poste qui est le nôtre. Si nous y répondons fidèlement, cet appel, cette
vocation dessine petit à petit la figure de notre vie et nous révèle à nous-mêmes
ce pour quoi nous sommes faits. Alors que nous avançons dans la vie, nous
pouvons donc mieux connaître notre vocation. Pourtant, jusqu’à l’heure de notre
mort, nous ne saurons pas totalement quelle est notre place dans le dessein
divin. Ce n’est que dans le regard de Dieu au dernier jour que nous saisirons
l’unité de l’œuvre qu’il a accomplie à travers nous et en nous. Pour
aujourd’hui, nous pouvons déjà être sûrs de cette vérité consolante : nous
ne sommes pas là par hasard, Dieu a voulu notre existence et nous a confié une
mission qu’il n’a confiée à personne d’autre. C’est le mystère de sa volonté
que Dieu nous dévoile et dont parle Paul : le projet de celui qui réalise tout ce qu’il a décidé.
Cette vérité de foi se heurte
à notre expérience et chaque âge connaît sa crise vocationnelle. Pour les plus
jeunes, la vocation se présente rarement toute claire et pure. Il y a des
années de peine où nous ne savons pas vers où nous tourner et cela peut durer.
Nombreux sont ceux qui, en toute bonne foi, ignorent ce à quoi Dieu les appelle,
ce qui fera leur bonheur ; ils cherchent à tâtons la place qui est la
leur.
Avec le temps, même si nous
avons une étiquette sur le front (époux, mère de famille, prêtre, religieuse,
etc.), nous vieillissons souvent avec plus de questions que nous n’en avions
sur le sens de notre existence. Notre appel peut se voiler derrière des
désillusions de plus en plus nombreuses et nous sommes alors plongés dans les
regrets : nous pensions être faits pour ceci, pour cela, les circonstances
ne l’ont pas permis. Nous ne sommes pas à l’image de ce que nous avions espéré
être et c’est comme si nous ne correspondions pas à notre appel. Nous
regrettons que la vie ne nous ait pas permis de nous accomplir et nous avons
alors l’impression qu’elle a filé entre nos doigts, gâchée par les aléas de
l’existence, notre péché et celui des autres. Il nous semble alors être à côté
de nous-mêmes. Nous avons ressenti de grands désirs qui n’ont pas trouvé à se
réaliser et il ne nous reste plus que la béance insatisfaite de l’inachèvement. Jeunes ou vieux, que nous
n’entrevoyions pas ce pour quoi nous pouvons être faits ou que nous regrettions
de ne pas l’avoir réalisé, nous sommes tous envahis à un moment ou l’autre du
sentiment de notre inutilité. C’est la tristesse spirituelle de ceux qui ont le
désir de se donner sans que ce désir ne soit comblé.
Seul un sursaut de confiance
en Dieu peut alors nous sauver : son appel est aussi fidèle que les
battements de nos cœurs, tant que nous vivons, il prononce notre nom et nous
envoie. Il s’agit alors de nous abandonner à son projet sans l’assurance de
pièces de monnaie ou d’un sac, sans tunique autre que celle dont il nous a
revêtus au baptême. S’il nous demande un tel abandon, c’est pour mieux vaincre
le mal qui s’acharne à détruire son œuvre, car Dieu n’est pas responsable de la
blessure que nous ressentons lorsque nous ne savons pas ce pour quoi nous
sommes faits, lorsque nous redoutons d’être passés à côté de notre vocation ;
c’est l’ennemi qui a fait cela, le mal qui a mis les ténèbres dans la création
et a tout rendu si obscur. L’œuvre de Dieu est lumière, il veut guérir la
blessure qui nous aveugle, ne peut le faire que si nous nous abandonnons entre
ses mains. S’abandonner, c’est entendre l’appel pour maintenant. Cet appel n’est pas pour hier – secouez la poussière de vos pieds –, il
est peu pour demain – ne prenez rien
pour la route –, il est surtout pour aujourd’hui. Nous ne saurons vraiment
le sens de notre vie entière que lorsqu’elle s’achèvera mais nous savons que
maintenant, tout de suite, nous sommes faits pour recevoir et porter l’amour du
Christ. Nous ressemblons à Michel-Ange le nez contre les voûtes de la Sixtine.
Nous aurons la vue d’ensemble au soir de notre vie mais nous pouvons faire un
chef d’œuvre en étant saints dans la toute petite zone que nous avons sous le
nez : l’instant présent. C’est en faisant le bien ici et maintenant, en
portant l’amour du Christ aujourd’hui que nous le laisserons petit à petit
ouvrir notre oreille au sens de notre vie. Amen.