
Homélie du 13ème
dimanche du temps ordinaire
Dans la tempête de la semaine
dernière, Jésus manifestait sa puissance divine devant les éléments déchaînés
de la nature. Aujourd’hui, nous le voyons en prise avec la mort qui atteint sa
création et, par les signes qu’il accomplit, il nous montre comment il va faire
une création nouvelle par le don de sa vie. Les deux miracles que nous avons
entendus peuvent être compris comme des actes un peu magiques tant qu’on ne
voit pas combien Jésus y donne sa propre vie. On risque alors d’imaginer un
Jésus accomplissant des actes merveilleux autour de lui à la manière d’un
magicien agitant sa baguette magique et proférant des formules.
Les prodiges qu’opère Jésus
ne sont pas de cet ordre. Si on lit précisément le texte d’aujourd’hui, on
s’aperçoit que Jésus paye de sa personne pour donner vie. Dans les miracles de
ce jour, Jésus vit déjà la croix. Les deux gestes miraculeux sont liés par les
douze ans qui sont l’âge de la jeune fille et la durée de la maladie de la
femme. Le premier nous montre donc une femme qui souffre d’une hémorragie.
L’évangéliste pudique ne nous dit pas d’où coule le sang, mais c’est bien du
lieu même qui permet de donner la vie. Cette origine du monde devient le lieu
où l’hémorroïsse perd son existence goutte à goutte. Cette femme est l’image de
la création qui est de travers : faite pour donner vie, elle est blessée à
mort. Les nombreux médecins qui ont voulu la soigner sont l’image de toutes les
tentatives humaines pour sauver la création. Ces essais sont incapables
d’atteindre leur but car ils ne s’attaquent pas à la racine du mal qui est le
péché, ils veulent faire disparaître les symptômes (mort, maladie, pauvreté)
mais ne peuvent en détruire la source. Un seul sauve et c’est Jésus, comment le
fait-il ? En laissant « une force » sortir de lui. Au milieu de
la foule qui l’oppresse, Jésus sait bien ce qu’il a donné à cette femme. Cette
force, c’est par anticipation son propre sang qu’il laisse s’écouler de son
côté ouvert. Au moment où la femme le touche et reçoit la guérison, Jésus sent
son cœur transpercé par la lance. S’il peut guérir la femme, s’il peut donner à
la création tout entière d’être de nouveau principe d’une vie, c’est en
laissant s’ouvrir ce cœur qui a tant aimé les hommes. Ève fut appelée la mère de
tous les vivants, nous dit la Genèse. L’humanité nouvelle ne jaillit plus simplement de cette mère mais du côté
transpercé du Christ : origine du monde nouveau et source de la vie nouvelle.
Le second miracle est la
résurrection de la fille de Jaïre. S’il ne prend avec lui dans la chambre de
l’enfant que ses plus proches et les parents de la fillette, c’est que Jésus
n’opère pas ce miracle comme si c’était une bagatelle. Lorsqu’il dit Talitha Koum, Jésus sait ce qu’il lui en
coûte. Il a payé de l’écoulement de son propre sang la guérison de
l’hémorragie ; il paye de sa propre vie la vie de la jeune fille. C’est
toute la force de sa vie qui s’écoule de lui pour lui être donnée. Dans
l’Ancien Testament, il y a deux résurrections mais à chaque fois le prophète
s’allonge sur le mort pour lui redonner vie (1 R 17 et 2 R 4). Pour
ressusciter, encore faut-il aller chercher le défunt là où il se trouve et s’allonger
dans la mort avec lui. Apparemment rien de cela ici. Mais en fait, Jésus s’allonge
bien car en même temps qu’il relève la jeune fille, il s’étend sur le bois
de la croix. Ce miracle est une anticipation et une explication de ce qu’il
vient faire en mourant sur la croix.
Cette femme et cette fillette
sont l’image de l’humanité souffrante et mourante : troupeau parqué pour les enfers et que la mort mène paître (Ps.
48). Telles sont nos vies : des années de souffrance qui aboutissent à la
mort quoiqu’on y fasse. En guérissant la femme, en sauvant la fillette, Jésus
nous montre qu’il vient changer la donne. Par sa mort sur la croix, il nous
sauve de la mort, par le don de sa vie, il guérit notre vie. Ces deux miracles
vont ensemble : le second nous enseigne que la mort n’aura pas le dernier
mot, Jésus l’a réduite au silence, non pas comme la tempête à qui il lui a
suffi d’imposer le silence, mais en s’offrant à elle et en la détruisant de
l’intérieur. L’avenir n’est plus bouché, notre vie a non seulement un horizon
par-delà la mort, mais ce n’est pas tout : il ne nous suffit pas
d’attendre la mort pour vivre, nous voulons la vie dès maintenant et pleinement.
Ce que Jésus nous apprend par le premier de ces miracles c’est qu’il nous donne
déjà sa vie pour ici-bas. C’est de lui que nous pouvons recevoir la force en
communiant à son corps et à son sang qui guérissent les blessures par
lesquelles notre existence se perd. Amen.