
Homélie du Dimanche 21 juin 2015
Qui est-il donc ?
Lorsque les disciples se posent cette question à la fin de
l’évangile d’aujourd’hui, ils manifestent leur étonnement devant un signe
proprement divin. Il est des événements qui peuvent nous donner cette élévation
du cœur où l’on sent qu’il y a plus que ce que nous pouvons en expliquer par le
raisonnement humain. Devant une tempête
qui se déchaîne sur la côte bretonne, la puissance des vagues qui viennent
s’éclater sur les rochers, les embruns qui nous atteignent au visage et notre
cœur qui s’ouvre à un air vivifiant, nous pouvons donner toutes les
explications sur les astres qui provoquent les marées, les mouvements de la
houle et des courants marins, aucune ne parviendra à répondre vraiment à la
question de savoir ce qui est à l’origine d’un tel déchaînement de
puissance.
Dieu n’est ni dans la tempête, ni dans l’ouragan, ni dans le
feu comme l’a découvert le prophète Élie. L’explication stupide que l’on m’a
donnée de ce texte quand j’étais au catéchisme – vous avez peut-être reçu la
même – faisait de Dieu un moins que rien, plus petit que les vents et le feu,
un Dieu qui n’osait pas être puissant. Au contraire, si Dieu n’est pas dans la
tempête, c’est parce qu’il est bien plus grand que la tempête. La découverte
d’Israël, c’est que Dieu n’est pas dans les éléments du monde, aussi fascinants
soient-ils. Vient alors la question des disciples qui fait écho à
celle de l’Ancien Testament : qui est-il donc s’il est encore plus grand
que ce qui est si puissant ? Plus grand que les tempêtes, les cyclones,
les tremblements de terre, les éruptions volcaniques, les tsunamis, les aurores
boréales, la foudre et le tonnerre. Il y a de quoi être écrasé par une telle
grandeur. Les hébreux craignaient à juste titre cette splendeur. Quant à nous,
de peur d’en être écrasés ou parce que nous ne comprenions pas bien comment
cette puissance pouvait se concilier avec la présence du mal sur terre, nous
avons parfois un peu caché cette grandeur divine, nous avons voulu tailler un
Dieu à notre mesure, un Dieu gentil, gentillet et un peu incapable. Nous avons
fait de Jésus le doux rêveur galiléen. Non, Jésus est Dieu tout-puissant, Jésus
est celui qui a dit à la tempête : « Silence, tais-toi ! ».
D’ailleurs, la seule personne qui puisse nous permettre de
reconnaître la transcendance divine – c’est-à-dire l’infinie grandeur de Dieu –
sans en être écrasés, c’est Jésus. Il est celui qui est en sa personne Dieu et
homme : le Tout-puissant et le tout-faible, le tout-autre et notre frère.
Nous n’avons pas à craindre la puissance de Dieu car elle ne s’abat par sur
nous, elle est pour nous dans la lutte contre le mal. Jésus est dans la barque,
nous sommes sur le même bateau. Il partage vraiment notre faiblesse avec l’un
des attributs si typiques de notre condition charnelle : la fatigue. Ce
jour-là sur le lac, elle l’abat et l’endort ; mais il est en même temps le
Seigneur Dieu qui prend la défense de l’homme devant les éléments déchaînés,
devant le mal et la mort qui sont plus puissants encore. Dans cet homme qui
dort sur le coussin à l’arrière de la barque, le Dieu Tout-puissant veille.
Pourquoi êtes vous si
craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? Il faut comprendre la
phrase de Jésus dans ce double sens : pourquoi craignez-vous la
tempête ? Je suis Dieu ; et pourquoi me craignez-vous ? Je suis
homme. Tout d’abord, les apôtres ont craint la tempête parce qu’ils ne
pensaient pas que Dieu était avec eux. Ils découvrent en Jésus le Seigneur qui
est plus puissant que vents et marées. Mais voilà qu’ils se mettent à craindre
cette puissance qui s’est manifestée en Jésus, leur peur de la tempête se
reporte sur celui qui a manifesté qu’il était plus grand encore. Ils ont en
fait perdu de vue que Jésus était homme avec eux. N’avez-vous pas encore la foi ? porte sur cela : avoir la
foi c’est croire de tout son être que Jésus est Dieu et qu’il est homme, c’est
savoir que rien ne lui échappe et qu’il tient dans sa main l’univers tout
entier et qu’il est en même temps homme avec nous. Regarder Jésus apaiser la tempête
nous rappelle donc à l’épreuve de notre foi. Nous oscillons entre la servilité
devant Dieu et la servilité de Dieu. Dans le premier cas, nous en faisons une
toute-puissance incompréhensible et lointaine, il ne faut alors surtout pas
chercher à comprendre, il fait ce que bon lui semble même si à nous cela semble
très mauvais et nous en arrivons même à croire que c’est lui qui est l’origine
du mal ; nous sommes alors les serviteurs d’un Dieu dont nous ignorons
tout. Dans le second cas, nous en faisons un Dieu carpette, qui s’abaisse
devant le mal et ne fait rien pour nous en défendre, bref un sous-fifre de
troisième catégorie. Tyrans et impuissants finissent toujours par être
destitués ; si telle est notre vision de Dieu, nous finirons donc par le rejeter et à
juste titre. Notre Dieu est
Tout-puissant et il s’est incarné. Ce Tout-puissant s’est fait notre ami sans
jamais rien renier de sa grandeur. Ce n’est pas pour se dissoudre dans notre
caniveau qu’il s’est fait homme mais pour nous élever à son niveau, pour faire
de nous des dieux. Amen.