
Homélie de la Fête-Dieu
Dans l’eucharistie, Jésus est présent. Il faut le croire
pour le voir. Cette présence ne ressemble à aucune autre. Jésus se cache. Jésus
nous respecte à tel point qu’il ne s’impose pas, il se tient à la porte et
frappe d’un coup léger. C’est à nous d’ouvrir si nous voulons qu’il vienne
demeurer chez nous. Suivant la loi qui
veut que les présences les plus lumineuses soient celles qui nous forcent le
moins à les reconnaître, Jésus entre chez nous sur la pointe des pieds. Il ne
se donne qu’à ceux qui veulent bien l’y reconnaître, l’y regarder et l’y
adorer. Tous les autres passent devant la lumière du tabernacle sans rien y
voir de particulier ; dans l’église vide, ils se croient seuls. Les
chrétiens, eux, savent que ce temple est habité en tout temps : leur Dieu
s’y tient caché dans un petit placard qui ne réussit pas à enfermer le
rayonnement de sa présence. Ils le savent avec les yeux de la foi car les sens
leur font généralement défaut. Ils font la génuflexion devant cette présence
pour dire leur foi humble de tout leur être. Devant ce mystère, leur esprit se
reconnaît tout petit, leurs yeux n’y voient rien qu’un morceau de pain ;
alors, pour associer leur corps à ce mystère, ils plient les genoux.
Parfois cependant, le Seigneur s’est révélé de manière plus
visible : miracles eucharistiques dans lesquels l’hostie se mit à saigner,
étranges histoires où un morceau de chair vivante apparut à la place du Saint
Sacrement, saints qui sentirent la présence pourtant indétectable d’une hostie
consacrée. Notre époque logique n’est pas toujours à l’aise avec ces miracles
qui parsèment l’histoire. Ils nous rappellent pourtant quelque chose
d’essentiel : Jésus est vraiment présent ; et, à vrai dire, le plus étonnant
ce n’est pas tant ces miracles, mais que le Seigneur puisse si bien se cacher.
Le miracle, c’est que nous ne soyons pas éblouis par la lumière chaque fois que
nous venons à la messe. Le miracle le plus grand, c’est que Dieu puisse si bien
se voiler dans les mains d’un homme indigne alors même qu’il est la Lumière,
qu’il puisse se tenir silencieusement sous le conopée[1]
alors même qu’il est le Verbe. De même que la Transfiguration montre aux apôtres
l’état « normal » de Jésus alors que le reste du temps il opère un
véritable prodige en se faisant semblable à n’importe quel autre homme, de
même, dans ces miracles eucharistiques se manifeste la réalité de celui auquel
nous communions à la messe.
Cette réalité nous échappe. Nous ne la touchons que du bout
de la foi. Sommes nous condamnés à en être si distants ? N’y a-t-il pas
moyen de la ressentir un peu plus de tout notre être, dans notre cœur et dans
notre corps ? Nous n’avons pas simplement faim d’une présence si discrète.
Nous avons en nous le désir d’un Dieu tout amour qui nous prenne
affectueusement dans ses bras, qui sache nous dire les mots qui consolent,
d’une présence réelle et sensible qui fasse battre nos cœurs. S’il est venu sur
terre, c’est bien pour nous donner cette présence pleine et entière. Si nous ne
l’obtenons pas, il est nécessaire de nous demander pourquoi. Est-ce de lui ?
Est-ce de nous ? Peut-être Dieu nous la retient-il pour nous dépouiller
encore et mieux nous combler de lui plus tard. Peut-être nous y refusons-nous
sans même le savoir : soit que nous nous approchions si distraitement de
l’eucharistie que nous ne puissions pas en recevoir toute la richesse, soit que
nous n’ayons pas la simplicité de demander au Seigneur la simple consolation
d’un baiser. Ce soir peut être différent. Nous pouvons demander au Seigneur de
nous préparer à le recevoir dans la joie d’un cœur renouvelé. Notre religion
est tout autant charnelle que spirituelle, c’est par le don de sa chair à nos
corps que le Seigneur Jésus nous comble de son salut. La manière dont nous le
recevons n’est donc pas anodine. À moins que nous ne le puissions pas, faisons
une génuflexion avant de communier (certains communient même à genoux), c’est
une manière de dire que nous voulons l’aimer avec tout ce que nous sommes.
C’est notre manière de plonger dans ses bras. Avant de recevoir l’hostie,
proclamons un Amen qui veuille dire
notre assentiment à ce corps du Christ que
nous recevons. C’est notre manière de lui dire notre amour explicitement, à
voix haute et avec la simplicité d’un enfant. Laissons-le ensuite faire son œuvre
en nous, en prenant le temps de rendre grâce pour ce don qu’il nous a fait.
C’est lorsque nous laissons l’adoration s’installer après la communion que peut
descendre en nous très profondément la grâce de cette présence. Pour que ces
actes ne restent pas superficiels, en faisant tout cela, demandons-lui aussi de
mettre en nos cœurs de vrais sentiments d’amour pour lui, n’hésitons pas à lui
demander de consoler nos cœurs de sa présence comme le demandent les enfants qui
appellent dans le noir parce qu’ils ne peuvent s’endormir sans embrasser leur
mère. Il a promis qu’il ne nous laisserait pas orphelins. Amen.
[1] Le
conopée est le voile que l’on place habituellement sur les tabernacles, c’est
une évocation de la tente dans laquelle
résidait la présence de Dieu durant l’Exode, il indique que ce lieu est
l’habitation d’une personne.