Saoulés de paroles

Homélie
du 5ème dimanche du temps pascal

Vous voici purifiés par la parole que je vous ai
dite.

La parole est puissante et peut nous atteindre
au cœur. Un mot suffit à nous blesser ou nous sauver. Une phrase malveillante
peut jeter le soupçon sur l’ami le plus fidèle, troubler notre esprit pendant
des heures ou nous faire perdre toute assurance. Un conseil peut nous sortir
d’une situation bloquée et nous relancer. Une parole de consolation peut nous
faire revivre. Un mot d’amour peut décupler nos forces. La puissance de la
parole est telle qu’aucune parole ne devrait être anodine.

Parmi toutes les paroles qui bruissent à nos
oreilles, il en est une qui a la préséance : celle de Jésus, dont il dit
lui-même: Vous voici purifiés par la
parole que je vous ai dite
. Ce qui tient ensemble cette vigne dont nous
sommes les sarments, c’est sa parole purificatrice. Si jamais parole fut
puissante c’est bien la sienne : par elle, nous fûmes créés. Pourtant, au
regard de cette puissance, nous faisons souvent bien peu de cas de l’Évangile
et nous en venons même à nous demander si cette parole peut nous atteindre.
Elle nous semble lointaine, incompréhensible et parfois pire : rabâchée et
usée. Nous ressemblons à cet enfant convoqué si souvent chez le proviseur que
cela n’a plus aucune efficacité. Il attend que le bla-bla soit terminé, finit
en disant « oui, oui » et ressort comme il est entré.

Pourtant, si nous croyons en Jésus, s’il est
vraiment notre vie, chaque parole de l’évangile devrait être pour nous plus
brûlante que le moindre mot d’amour.
Comment se fait-il qu’il n’en soit pas ainsi ? Pourquoi nos cœurs
sont-ils si souvent secs à son écoute ? Nous nous levons, nous écoutons
d’une oreille distraite et nous nous rasseyons en nous demandant parfois quel
était l’évangile du jour (aujourd’hui, c’était la vraie vigne). Nous quittons
la messe comme l’éternel puni quitte le bureau du proviseur : inchangés et
bien contents de pouvoir retourner à nos affaires. Nous ne sommes pas
complétement maîtres des sentiments de nos cœurs, mais nous pouvons choisir de
ne pas nous résigner à la tiédeur. Nous n’entendons rien parce que nous ne prenons
plus la peine d’écouter, nous ne prenons plus la peine d’écouter parce que
l’habitude a gagné sur nous. Si nous voulons que la parole de Jésus porte du
fruit en nous, si nous voulons être attachés à lui comme les sarments à la
vigne, si nous voulons que cette sève coule en nos veines, entendons la parole
de Jésus dans son intégralité et dans son absolue originalité.

Dans son absolue originalité. Nous écouterons
l’évangile comme nous n’écoutons aucune autre parole. À la messe, nous nous
tenons debout pour l’entendre, nous l’acclamons par l’Alléluia et par le Louange à toi Seigneur Jésus, nous nous
signons le front, les lèvres et le cœur. Tous ces rites ont pour but de
réveiller nos oreilles, nos esprits et nos cœurs, la parole entendue ici est
sans commune mesure avec toutes les autres. On n’écoute pas les confidences
d’un ami comme on écoute la radio. Jamais mots d’amour plus brûlants furent
prononcés et nous les écouterions sans y faire attention ? Lorsque l’on
reçoit une lettre d’amour, on la lit et on la relit, on en rêve la nuit et elle
remplit nos journées. Dans l’Évangile, nous ne comprenons pas tout, certes, mais
plutôt que de nous y résigner souffrons-en comme on souffre de ne pas
comprendre un ami lorsqu’on voit bien qu’il cherche à nous dire quelque chose
de très intime. Jésus livre là le fond du cœur du Père, il nous donne à
connaître le secret d’amour de Dieu pour les hommes. L’écoute de l’évangile
demande une ouverture de notre cœur et un acte de la volonté car on n’entend
pas ce genre de secret sans faire un effort de concentration, sans le laisser
nous envahir, et sans prendre le temps de le ruminer pour le laisser faire son
œuvre en nous.

Dans son intégralité. Nous entendrons l’évangile
dans sa totalité. Ce n’est pas à nous d’émonder la parole, c’est elle qui nous
émonde. Il y a là un combat contre notre volonté propre qui voudrait tenir le
glaive en main et nous entraîne à découper l’évangile pour y choisir ce qui
nous convient et en rejeter sous divers motifs ce qui nous gêne :
« Jésus ne dirait pas les choses comme cela aujourd’hui »,
« c’est un ajout de l’évangéliste ». Chacun d’entre nous a quelques
pages de l’évangile en tête qu’il voudrait bien mettre de côté. Laissons ces
pages nous brûler, laissons Jésus, par ces paroles, mettre le feu dans notre
cœur. Ce n’est pas nous qui discernons en elle ce qui est bon ou mauvais, c’est
elle qui discerne en nous le bien du mal, le bon grain de l’ivraie.

La parole de Jésus est semée à tout vent et nous
pouvons si facilement passer à côté. Cependant, si nous nous y attachons, si
nous luttons pour l’écouter et si nous prenons le temps de la laisser nous
atteindre, si nous croyons encore, avec un peu de folie, que ces paroles peuvent
changer nos vies, si nous nous livrons ainsi aux soins du Père qui nous émonde,
les sarments que nous sommes porteront du fruit et le fruit de cette vigne fera
la joie du monde. Amen.