Homélie d’obsèques d’Edmond Malinvaud

Ouvrant la bouche, il se mit à
les instruire, il disait : « Heureux les pauvres de cœur »

 

Le
professeur Edmond Malinvaud – ou Papou, comme nous avions l’habitude de
l’appeler dans l’intimité familiale – avait reçu de Dieu une qualité que nous
voyons rayonner en la personne du Christ dans cet évangile des béatitudes.
C’était un professeur, un maître, un guide.

Ces
quelques paroles que Jésus nous a laissées sont le pain quotidien de bien des
hommes et femmes répandues de par le monde. Ils les ont entendues, il les ont
parfois méditées, mais la plupart du temps, les chrétiens cherchent à vivre des
ces mots sans y penser explicitement. À tel point que cette faim de la justice,
cette priorité donnée aux pauvres, cette construction de la paix dont le Christ
parle à ses disciples ont imprégné profondément notre civilisation occidentale
et sont devenues l’idéal de vie de bien des non-chrétiens. Le Christ a ainsi
sur nos vies à tous une influence dépassant largement ce que nous pouvons en
exprimer, et parfois même ce que nous en savons.

Il est
des hommes à qui Dieu donne à leur tour d’imprimer leur marque sur les êtres
qui les entourent. Papou en faisait partie. Il rougit certainement de
m’entendre parler de lui en ces termes, modeste qu’il était en toute
circonstance. Pourtant, alors que rayonne en lui la lumière divine, il doit
bien rendre grâce avec nous de cette qualité rare que le Seigneur lui avait
laissée en partage. Dans son enseignement universitaire, aux différents postes
de responsabilité qu’il a exercés, en famille le dimanche midi et sur les
chemins de montagne, Edmond Malinvaud était un homme qu’on écoute. Malgré la
rareté de sa parole et sa grande timidité, il se gagnait les cœurs par son
ouverture d’esprit, par son attention à chacun, par sa délicatesse extrême en
toute circonstance et par sa patience qu’ébranlaient uniquement l’injustice frappant
le plus faible et, il faut l’avouer, l’effronterie de ses petits-enfants. Nous
sommes nombreux ici à lui devoir une partie de ce que nous sommes. Il nous a
formés par sa parole et son exemple, il nous a appris à penser et à être
libres. La trace qu’il laisse par ses travaux en économie, les centaines
d’articles et de conférences, les piles de livres sont peu de chose à côté de
l’influence personnelle qu’il a eue sur nous. Bien qu’elle reste en quelque
sorte un mystère, car nous sommes incapables de la décrire précisément par des
mots, cette influence nous laisse une empreinte profonde et, à vrai dire, c’est
ce qui subsistera de lui par-delà la mort.

En ce
jour, et pour la première fois depuis qu’il a appris à lire, il est sans livre
et sans stylo. Il se présente ainsi devant son Seigneur les mains vides. Il est
parti sans dossier, sans article, sans rien d’autre que son cœur à présenter à
Dieu, et nous sommes là pour témoigner sans mot de ce que nous avons reçu de
lui. Nous n’avons, nous aussi, rien d’autre que nos propres vies à présenter.
Quelle que soit notre foi, regardons le fond de nos cœurs et retrouvons-y
l’empreinte qu’y a laissée Papou, Edmond, le professeur Malinvaud : la
rigueur de pensée qu’il nous a inculquée sur les bancs de l’université, la
droiture de vie dont il nous a imprégné par son travail, le dépassement de soi
dont il nous a donné le goût sur le chemin du col de Pierre Blanche, l’évidence
de son amour d’époux, de père, de grand-père et d’arrière-grand-père qu’il nous
a dit jusqu’à la fin, et toujours silencieusement, par le sourire de son regard
posé sur nous. C’est tout cela dont nous rendons grâce à Dieu en remettant
Papou entre ses mains, et nous lui demandons d’achever l’œuvre qu’il a
commencée par cette vie de 91 années en l’irradiant tout entier de la béatitude
de son amour, et en continuant à faire porter du fruit à l’influence lumineuse
de son fidèle serviteur. Amen.