
Homélie du troisième dimanche de carême
Le temple dont il parlait c’était son corps
Notre difficulté dans la prière tient à la peine que nous avons à être en la présence de Dieu. Être en présence de quelqu’un,
c’est déjà bien plus qu’être à ses côtés. En effet, on peut passer des heures
avec une personne et lui être complètement absent. On voit son visage, on
entend sa voix mais on ne l’écoute ni ne la regarde vraiment, bref, on ne se
laisse pas atteindre par l’existence de l’autre. Il pourrait ne pas être là que
l’on n’en serait pas plus troublé. En
revanche, quand nous sommes présents à l’autre, chacun de ses rictus et la
moindre de ses paroles nous atteignent à l’intime. Cette attention peut nous être
donnée un instant, mais un long travail fait de patience, d’ouverture de cœur et
de don de soi est nécessaire pour qu’elle se maintienne dans le temps.
S’il est ardu d’être présent à l’autre qui se
tient devant moi, combien plus l’est-il de porter attention à la présence
divine que je ne vois ni n’entends. Pourtant,
comme l’autre est là que je ne regarde pas, Dieu est là que je ne vois pas parce
que je ne m’y arrête pas. Dieu est partout mais nous qui sommes en un seul lieu
avons besoin qu’il soit quelque part pour y aller et l’y rencontrer. C’est le
don fait à Israël dans le Temple : les hommes n’ont plus besoin de
chercher à tâtons des traces de Dieu, il est là en un lieu précis :
le Temple de Jérusalem. Il suffit d’y venir pour être auprès de lui. La colère de
Jésus dans l’évangile de ce jour naît du fait que les hommes soient si absents au
don que Dieu leur a fait. Passe encore que nous soyons absents à un Dieu qui
est partout, il est difficile d’être présent à l’air que l’on respire, mais
quand Dieu nous donne un lieu précis pour nous aider à l’y rencontrer, si nous
ne nous arrêtons pas à cette présence divine, c’est que le problème est de
notre côté, pas du sien.
Une fois les marchands chassés du Temple, Jésus
s’affirme comme la nouvelle présence. Il
parlait du sanctuaire de son corps. Non plus simplement une présence
circonscrite en un lieu comme l’était le Temple, mais une présence incarnée que
l’on peut regarder et écouter et qui va nous donner de lui être présents. Il
nous en reste l’eucharistie et la Parole de Dieu. Nous le regardons dans
l’eucharistie, nous l’écoutons dans la Parole de Dieu et, par elles, il nous
rend présents à lui.
La Parole de Dieu nous donne de comprendre
Jésus. En l’entendant, nous sommes mis en présence de Jésus qui nous parle.
Cette parole nous est parfois lointaine et obscure. Elle nous reste extérieure tant
que nous ne l’avons pas ruminée, mais si nous l’écoutons et essayons de la
comprendre, si nous la méditons en invoquant l’Esprit Saint, nous verrons petit
à petit le Christ nous rapprocher de lui, nous rendre familiers de sa manière
de penser. De même que si nous écoutons régulièrement un ami avec attention, il
vient habiter de plus en plus près de notre cœur, l’écoute de la Parole de Dieu
nous approche petit à petit de lui. Une relation d’amitié peut être un fort
soutien dans les moments difficiles si nous lui avons été fidèles en tout
temps, de même la Parole de Dieu sera notre secours quand il nous semblera que
le Seigneur est loin, elle nous donnera de lui être présents et nous comblera
de sa présence dans les nuits de nos vies si nous nous en sommes rendus
suffisamment familiers dans notre méditation quotidienne.
L’eucharistie, elle, nous donne de contempler
Jésus. Dans l’hostie, nous ne voyons pas grand chose, certes, mais nous pouvons
regarder. Par un étrange paradoxe, Jésus s’est caché sous les aspects du pain
et du vin pour que nous puissions le regarder. Notre facilité à voir notre
frère sans le regarder est guérie par l’eucharistie qui nous donne de regarder le
Christ alors même que nous ne le voyons pas. Devant la présence absolue du Fils
de Dieu, nous sommes mis en demeure de faire l’effort de regarder, c’est-à-dire
d’entrer dans une attention à sa présence dépourvue de soutien sensible. Nous
ne sommes pas abandonnés à nos propres forces car nous ne faisons pas cet
effort seuls : l’Esprit Saint est là à l’intérieur qui fait grandir en
nous cette attention du cœur. Cette croissance de notre capacité de
contemplation est parfois longue et pénible, c’est le travail de notre vie. Si
nous nous y mettons de toute notre énergie et si nous en appelons à l’Esprit,
nous nous verrons être de plus en plus présents à l’invisible.
Ainsi, par l’adoration eucharistique et la
méditation de la Parole de Dieu, l’enjeu de notre prière est d’avoir le cœur
suffisamment large pour être capable de contempler le Christ lorsqu’il se
rendra visible à nos yeux au jour de notre mort, l’enjeu est d’avoir l’oreille
suffisamment exercée à l’écouter pour le comprendre quand il nous dira : Entre dans la joie de ma présence. Amen.
Saint-Michel
– 8 mars 2015