Libéré, délivré !

Homélie du Mercredi
des cendres

Rends-moi la joie
d’être sauvé

La perle, un roman
de Steinbeck, nous montre la misère de Kino. Il découvre une perle rare, il
espère la vendre pour faire soigner son fils. Il rêve déjà au futur que lui
offre la perle. Mais la nouvelle se répand, et l’objet attire la convoitise.
Seule l’épouse de Kino voit clair, elle lui intime d’abandonner la perle mais
lui refuse, déjà grisé par sa nouvelle richesse. On veut sa mort, il est
poursuivi et s’enfuit avec sa femme et son fils, ce dernier est tué dans la
fuite. D’espérance, la perle est devenue une malédiction. Kino finit par la
rejeter en mer et retrouve la paix.

Les moyens apparents de notre libération peuvent devenir les
chaînes d’un esclavage plus terrible encore, c’est notre drame. Nous souffrons
d’être esclaves. Esclaves du temps. L’horloge tourne inexorablement, que nous
soyons impatients ou ennuyés, pas moyen de maîtriser le temps qui passe et nous
échappe. Esclaves de la faim. Le corps réclame sa nourriture quotidienne, pas
moyen de l’éviter, nous sommes forcés pour elle de déployer une énergie
considérable : travailler à la sueur de notre front, faire les courses, la
cuisine, la vaisselle. Rarement pénitencier fut aussi efficace à mettre ses
bagnards à l’ouvrage. Esclaves de l’argent. Il nous retient en nous faisant
croire qu’il peut tout nous obtenir et combler toutes nos faims. Polymorphe, il
prétend pouvoir se changer en toute chose mais il ne rassasie pas car il est
sans visage, couleur, ni odeur, pâle comme la mort. Nous risquons alors de
croire que notre liberté est d’avoir tout le temps devant nous, de voir notre
faim comblée et de disposer de suffisamment de richesses pour ne pas être à la
merci de l’argent, bref des vacances éternelles avec tout à notre disposition.
Ce peut être la quête d’une vie mais qu’en restera-t-il lorsque le temps nous
ridera, lorsque nous aurons détruit en nous tout désir, lorsque nous quitterons
cette terre en y laissant toute richesse ?  Nous sommes faits pour bien plus. 

En ce carême, le Seigneur nous donne de respirer la sainteté
à pleins poumons et de nous ouvrir à l’ampleur de notre vocation. Par là, il
nous donne la vraie liberté. Prière, jeûne et aumône. Chacun des piliers du
carême brise les barreaux d’une prison qui nous enferme à l’extérieur de
nous-mêmes. Voilà donc le programme de notre carême. Donner du temps au
Seigneur dans la prière. Y perdre notre temps pour retrouver la joie d’entendre
le battement de nos cœurs et arrêter de fuir à l’extérieur de nous-mêmes dans
l’empressement d’une vie sans but. Jeûner de nourriture pour creuser en nous le
désir de davantage. Y retrouver la soif de bien plus que des nourritures
terrestres, sonder la profondeur de notre faim et la laisser combler par le
Seigneur. Faire l’aumône pour que l’argent passe de triste maître à serviteur
de la joie. Faire de l’amour de Dieu et du prochain l’unique bien à même de
nous rassasier. Arracher de nos cœurs la cupidité et la voir devenir amour des
petits.

Bien sûr, il y aura dans ce carême des efforts. Il y a
l’épreuve du désert, la crainte que Dieu ne suffise pas à nous rassasier et
l’égoïsme qui lutte pour garder ses droits. Mais, aux portes de ces quarante
jours, regardons un instant la montagne vers laquelle nous marchons. Levons les
yeux et demandons au Seigneur de nous donner de contempler la grandeur de notre
vocation et de creuser en nous un grand désir de sa liberté. Qu’il transforme
la faim que nos corps ont éprouvée aujourd’hui en faim de son amour, que nos
estomacs se rapetissent tandis que nos cœurs tripleront de volume. Amen.

Saint-Michel

18 février 2015