Vilain petit canard

Homélie du 6ème dimanche du temps ordinaire

Va te montrer au prêtre

En Israël, l’homme atteint delèpre devait crier « Impur ! impur ! » partout où il allait
de sorte que les autres ne l’approchent pas. Il était exclu totalement du
peuple et par là du culte de Dieu qui se faisait au Temple de Jérusalem. Bref,
il se retrouvait infiniment seul. La conséquence la plus grave de la maladie,
c’est qu’elle isole. La mère repousse son fils qui veut l’embrasser car elle
craint de le contaminer, le cancéreux reste dans son lit à mendier
silencieusement la présence de ceux qui veulent bien faire l’effort de se
déplacer jusqu’à lui, les époux n’osent plus s’unir parce qu’ils ont peur de se
donner la mort. Lorsqu’elle prend un individu dans les mailles de son filet, la
maladie le détruit dans son corps ou dans son esprit en même temps que dans son
rapport aux autres. Elle le coupe de la communauté humaine et c’est souvent son
symptôme le plus douloureux. Qu’elle soit contagieuse ou non, une maladie est
toujours un peu une mise en quarantaine mais c’est particulièrement vrai de la
lèpre et c’est la raison pour laquelle cette maladie est l’image du péché.

En effet, la conséquence la
plus grave du mal n’est pas tant de nous faire contracter une impureté ou de
nous rendre imparfaits, elle est de nous mettre à l’écart de nos frères et
sœurs. Notre mal porte avec lui l’incapacité de continuer à aimer et être aimé.
Le fruit le plus terrible du péché, c’est l’isolement. Notre mal élève une
barrière entre nous et l’autre et nous rend de moins en moins capable d’être en
communion avec lui. Cela est évident des péchés qui concernent directement notre
rapport à l’autre : le mensonge pervertit le dialogue et l’empêche de
porter du fruit dans la relation, la colère fait fuir les autres loin de
l’irascible, la jalousie rend haïssable. Mais c’est aussi vrai des péchés que
l’on commet dans le secret. L’orgueilleux se contemple dans le miroir jusqu’à
en oublier comment regarder les autres et comment se laisser regarder. L’avare
se referme sur ses possessions, tout tourné vers son bien, ne sachant pas le
recevoir comme un don, il devient incapable de le donner, son argent n’est plus
un moyen d’échange et il perd ainsi la plus grande des possessions qui ne
s’achète ni ne s’emmagasine : l’amour reçu et donné.

Il ne suffit pas de souhaiter
sortir de cette prison de solitude pour en briser les barreaux. Il ne suffit
pas de souhaiter pardonner pour pardonner et de désirer être humble pour
s’arrêter d’être orgueilleux. Seul le Christ couronne nos efforts de succès en
brisant les liens du mal, en sortant l’homme de l’isolement et en retissant les
liens qui nous unissent les uns aux autres.
C’est ce qu’il fait en guérissant le lépreux. Il ne le guérit pas
simplement d’une impureté individuelle mais il lui donne de retrouver sa place
dans une famille et un peuple. C’est pourquoi il lui dit : Va te montrer au prêtre. Le prêtre
n’opère pas le miracle, mais il constate que Dieu a guéri. Le prêtre juif avait
en effet l’autorité pour reconnaître la guérison et permettre au lépreux de
retourner dans la communauté de laquelle il avait été exclu par sa maladie. Le
prêtre agit comme un frère aux côtés de l’ancien lépreux, louant avec lui le
Seigneur qui a rendu la santé.  

Il y a quelque chose de
semblable dans la confession. Contrairement à ce que l’on dit parfois, le
prêtre ne pardonne pas les péchés car Dieu n’a pas attendu pour nous pardonner.
Dieu est miséricorde, il nous a déjà tout pardonné avant que nous franchissions
la porte du confessionnal. C’est de notre côté que quelque chose se joue :
la confession fait que ce pardon porte du fruit en nous. Elle ne change rien en
Dieu mais elle change le cœur du pénitent pour le rendre semblable au cœur de
Jésus. En donnant l’absolution au nom du Christ, le prêtre guérit le cœur du
pénitent et brise les barreaux qu’a érigés le mal autour de lui. Pas plus que
la guérison de la lèpre, la confession n’est une affaire individuelle. Même si
elle se fait dans le secret, chaque confession renouvelle discrètement toute la
communauté en renouvelant le pénitent dans sa relation aux autres et à Dieu. C’est
pourquoi le prêtre n’est pas simplement Jésus qui guérit, il est aussi aux
côtés du pénitent comme le frère – pécheur lui aussi – qui implore le Seigneur
de soigner son frère et de lui donner de savoir aimer, puis il loue Dieu avec
le pénitent en constatant la guérison que le Seigneur a opérée. C’est à la fois
au nom de Dieu et au nom des hommes que le prêtre agit. Au nom de Dieu, il délivre.
Au nom des hommes, il est témoin de l’œuvre de la miséricorde divine. Prêtres,
c’est notre joie la plus grande. Amen.