L’Hôtel-Dieu

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Homélie du 5èmedimanche du temps ordinaire

Jésus s’approcha, lasaisit par la main et la fit lever.


Que découvre Jésus en s’approchant de l’humanité ? Sa
souffrance. Ce voile étendu sur tout ce que nous vivons. La souffrance est une
compagne bien indiscrète qui s’invite même là où nous croyons en réchapper.
Comme une mauvaise odeur, elle pénètre partout. Pas une journée qui n’en soit
marquée, pas une joie qui en soit épargnée, aucun amour qui n’apporte avec lui
son lot de douleurs. Sur cette terre, une journée sans nuage n’existe pas. En
venant parmi les hommes, Jésus mesure l’ampleur du mal qui frappe sa
création. L’homme qu’il a fait pour vivre et pour aimer en est rendu incapable
par le poids de la souffrance qu’il porte en permanence. La belle-mère de
Pierre alitée par la fièvre, c’est l’image de l’humanité tout entière mise à
terre par le mal qui la frappe. En s’approchant d’elle, en la prenant par la
main et en la relevant, Jésus montre ce qu’il vient faire pour nous tous.

Jésus s’approche donc de l’humanité douloureuse et il la
prend par la main. C’est dire qu’il ne craint pas de se tenir près de notre lit
de malade. Le geste du Christ devant notre souffrance c’est avant toute autre
chose de nous prendre la main. Pas si simple de prendre la main d’un malade.
S’approcher d’un malade, c’est s’approcher au plus près de lui. Le malade nous accueille
sans maquillage ni préparatifs. Nous nous trouvons soudainement projetés dans son
intimité et pas simplement parce qu’il nous reçoit en pyjama dans son lit, mais
aussi parce qu’il voit sa souffrance mise à nu devant ses visiteurs. Habituellement,
nous ne partageons pas si simplement nos douleurs, elles sont nos compagnes les
plus familières mais aussi les plus cachées. En nous admettant près de lui, un malade
accepte de nous laisser voir sa faiblesse à nu. C’est pour nous rencontrer à
ce niveau-là que Jésus vient. En s’approchant de la belle-mère de Pierre, Jésus
pénètre dans le sanctuaire de l’humanité endolorie. La chambre de cette femme
est l’immense hôpital qui abrite toutes nos blessures. En s’approchant de ceux
qui souffrent, on risque toujours de les blesser davantage. Quand les plaies
sont à vif, elles sont particulièrement sensibles. C’est pourquoi Jésus déploie
une immense délicatesse. L’évangile de ce jour peut nous donner l’impression
qu’il guérit à tour de bras alors qu’en fait il prend les malades un par un,
délicatement et par la main afin de les relever. Il s’approche de chacun de
nous pour venir panser nos douleurs. Nous craignons que d’autres s’en
approchent et nous fassent plus souffrir, ne craignons pas de lui présenter nos
plaies car il nous soignera avec la même douceur.

Ses miracles sont des opérations micro-chirurgicales dans
lesquelles il guérit chaque blessure en la prenant sur lui. En sortant de
l’hôpital, on repart avec un peu de la souffrance de celui qu’on était venu
voir. La compassion apaise un peu le malade mais elle nous fait (parfois même
physiquement) recevoir un peu de sa douleur. Jésus vit l’acte de compassion
parfait : il guérit en prenant sur lui la maladie. En relevant la
belle-mère de Pierre, il sait qu’il prend sa place et c’est pour elle qu’il
s’allongera sur la croix et dans le tombeau. L’amour de Jésus pour les malades,
c’est de prendre sur lui toutes leurs maladies pour les rendre à la santé.
C’est pour cela que sa rencontre de la souffrance l’entraîne dans la prière. Nous baissons la voix à l’hôpital car nous avons besoin de silence pour traverser la
douleur en continuant à aimer. Ce silence, Jésus le trouve au désert où il prie
le Père. La vie de Jésus est une respiration, tout ce qu’il donne en soufflant
sur les malades et en les guérissant, il le reçoit dans l’inspiration qu’est sa
prière.

La guérison de la belle-mère de Pierre est la première et le
signe de toutes les autres et de la grande guérison qu’il vient apporter. Si
Jésus n’a guéri qu’un nombre restreint de personnes ce jour-là à Capharnaüm,
son ambition est bien plus grande. On se plaint parfois qu’il n’ait pas guéri
tout le monde, mais c’est en fait ce qu’il est en train de faire, et il est
bien plus impatient que nous de nous voir enfin vivre sans larmes ni peines. Allons ailleurs, dans les villages voisins…Il
n’y a pas un village, pas un hameau, pas un homme qui échappe à sa sollicitude.
Toute la misère du monde. Les guérisons accomplies ce jour-là sont une goutte
d’eau dans l’océan mais elles annoncent l’océan de grâce dont Jésus veut
baigner la multitude pour la guérir. Amen.

Saint-Michel – 8 février 2015