
Homélie du 3ème dimanche du temps ordinaire
Le Seigneur Dieu fera se lever un prophète et vousl’écouterez.
On peut imposer le silence
par la peur et faire en sorte que l’interlocuteur soit suffisamment effrayé
pour se taire, cependant, cela ne le portera pas forcément à écouter d’une oreille
bienveillante. Régner par la contrainte, c’est s’assurer de former des cœurs
rebelles sous des apparences dociles. On exécutera sans discuter les ordres de
celui qui nous tient en joue, mais on ne croira pas un mot de ce qu’il nous
dit. Les personnes qui ont de l’autorité sur nous ne sont pas celles qui nous
ont forcés à faire ce que nous ne voulions pas, mais celles qui nous ont fait
grandir en formant notre cœur par leur parole, leur exemple. Ces personnes ont
de l’autorité par la douce influence de leur amour et, sans jamais nous faire
violence ni nous manipuler, elles nous ont aidés à devenir ce que nous sommes
en permettant à notre liberté de grandir. Cette autorité véritable est celle
qui entraîne à une obéissance véritable, c’est-à-dire une obéissance qui libère.
C’est exactement ce que nous voyons se dérouler dans cet évangile : la
parole de Jésus fait sortir l’esprit mauvais de l’homme qui en était tourmenté.
Jésus ne fait pas de grandes démonstrations de force, il dit simplement :
« Tais-toi ! Sors de cet homme » et cela s’accomplit. La parole
du Christ déclenche quelque chose à l’intérieur même de l’homme qui est sauvé
de ses tourments. Si sa parole est efficace, c’est que le Christ aime l’homme
qu’il délivre car seuls ceux qui nous aiment peuvent avoir une autorité sur
nous. Ces personnes ont su, par l’évidence de leur affection, conquérir notre confiance,
nous leur avons abandonné les secrets de notre cœur et elles nous ont changés
par leur parole : elles apaisent nos colères, font fuir nos angoisses et
nous consolent dans la peine. Au lieu que l’écoute de leur parole nous rende
esclaves, elle nous a libérés en nous permettant de mieux nous connaître, en
nous rendant davantage maîtres de nous-mêmes et en nous apprenant à aimer les
autres.
Au contraire, lorsque la
violence caricature l’autorité en autoritarisme, c’est généralement par dépit.
Elle veut obtenir par la force l’amour qu’elle craint de ne pas recevoir. Heureusement,
rares sont ceux qui prennent les armes, mais il nous arrive de vouloir
tellement avoir l’ascendant sur les autres que nous nous mettons à crier, à
jeter de la poudre aux yeux, à faire le paon dans le but d’impressionner
suffisamment pour être écoutés. C’est exactement ce que fait le démon dans l’évangile
de ce jour. Or, autant l’obéissance véritable est celle qui ne touche pas
simplement les actes extérieurs mais aussi le cœur, autant l’autorité véritable
est celle qui vient du cœur. Celui qui se donne tous les airs de l’autorité,
qui parfois même en rajoute en s’accoutrant de galons bien brillants, en
prenant un air supérieur, en roulant des mécaniques, ne fait que manifester
davantage son manque d’assurance et son désir maladroit d’être aimé. Plus la
carapace est rigide, moins ce qu’elle contient est solide. Aucune autorité
humaine n’a de valeur absolue. Les empires invincibles viennent à s’effondrer,
les bateaux insubmersibles viennent à couler, les hommes les plus forts sont
pleins de faiblesses qui finissent toujours par apparaître, et d’autant plus
douloureusement qu’on a voulu les cacher et les oublier pour se donner le
semblant de la solidité.
Les soirs de déprime, lorsqu’on
mesure un instant l’abîme de son immense faiblesse intérieure, on est tenté
soit de la cacher sous les dehors d’une forte carapace extérieure, soit de
baisser les bras devant ce vertige. Le Christ nous montre une autre voie. S’il enseigne
avec autorité, à tel point que ses auditeurs en sont frappés d’étonnement, c’est
qu’il connaît l’amour du Père pour lui. On peut supporter d’être faible lorsque
l’on ne doute pas d’être aimé. Les enfants ne craignent pas leur petitesse
parce qu’ils savent indéfectible l’amour de leurs parents. Le Christ est fort
parce qu’il a conscience d’être entre les mains de Dieu. Il n’a rien à craindre
pour lui-même puisqu’il est le Fils et l’envoyé de Dieu. Seul l’amour porte du
fruit dans les relations humaines. Tout exercice de l’autorité sera d’autant
plus bienfaisant qu’il prendra sa source dans la certitude d’être aimé, et dans
le désir d’aimer à notre tour car il ne sera plus simplement un rouage d’une
chaîne de commandement mais une forme de l’amour.
Je pense en particulier aux
parents qui sont venus ce dimanche présenter leur enfant baptisé au cours de
cette année. Votre autorité de parents, vous l’avez reçu de Dieu qui a créé cet
enfant par vous. Vous voulez qu’elle porte du fruit, non pas simplement qu’elle
fasse que votre enfant se couche quand on lui dit, mais qu’elle l’aide à
grandir, qu’elle l’encourage et lui donne confiance, bref, que votre parole
forme véritablement des cœurs épanouis et heureux. Le secret de cette autorité-là,
c’est qu’elle s’inscrit dans l’amour que Dieu a pour vous et pour votre enfant.
Elle ne s’oppose pas à l’amour que vous donneriez à votre enfant par ailleurs,
elle est un exercice de votre amour paternel et maternel. Parce que vous les
aimez, vous pouvez exiger d’eux qu’ils vous écoutent. Cela semble évident pour
des parents mais c’est aussi vrai partout ailleurs. Au travail, dans les
associations, en paroisse, dès que nous recevons un pouvoir sur les autres, c’est
comme si nous entendions un appel de Dieu à exercer l’autorité comme lui,
c’est-à-dire en aimant ceux qui nous sont confiés. En priant pour les regarder
comme Dieu les voit, nous apprendrons à exercer sur eux une autorité aimante
qui porte du fruit dans les cœurs. Amen.
Saint-Michel – 1er février 2015