Homélie de la fête du Baptême de Notre Seigneur
Venez acheter du vin et du lait, sans argent et sans rien payer.
La fête de l’épiphanie et celle du baptême n’en font qu’une qui peut être résumée par cette phrase de Jean : Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est lui qui nous a aimés et il a envoyé son fils en sacrifice pour nos péchés. Il y a un retournement complet de situation au moment où les mages arrivent à la crèche. Ils ont traversé des milliers de kilomètres mais ils découvrent en fait que l’enfant est venu jusqu’à eux. Ils ont apporté des cadeaux mais ceux-ci ne sont que l’image des présents que Jésus offre en sa personne même : sa royauté et sa divinité livrées aux mains des hommes qui le mettront à mort. En contemplant le mystère du baptême, nous découvrons un retournement de situation similaire pour nous. Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est lui qui nous a aimés. Il nous a précédés de loin.
Pourtant, tout semble toujours à conquérir. Ça commence le matin, lorsque le réveil sonne, par cet étrange combat contre notre propre inertie qui veut nous maintenir au lit ; ça s’achève le soir par ce conflit contraire au premier dans lequel nous luttons une nouvelle fois contre nous-mêmes pour aller nous coucher à l’heure. Entre les deux, nos journées sont marquées de multiples affrontements intérieurs et extérieurs : se battre pour se mettre au travail, lutter pour aimer son conjoint, batailler pour ne pas être emporté par notre colère ou notre paresse, etc. Il y a quelques armistices durant lesquels nous sommes en paix avec nous-mêmes et avec les autres, mais ils sont toujours de trop courte durée et ne semblent exister que pour nous empêcher de perdre tout courage : juste le temps de respirer quelques instants avant d’être de nouveau coulé. La vie ici-bas est un combat, et, à vrai dire, nous ne sommes jamais plus malheureux que lorsque nous le fuyons. Le cafard que nous ressentons au sortir de vacances oisives durant lesquelles nous avions oublié quelques jours notre lutte habituelle est de cet ordre. En fuite pour un temps et saoulés de repos, nous n’avons fait que repousser au lendemain les difficultés à affronter. De ce point de vue, les vacances ne sont que le pâle reflet de la paix véritable à laquelle nous aspirons ; car cette paix-là n’est pas la tranquillité du déserteur, elle est une grâce faite à ceux qui se sont livrés corps et âme dans la bataille. Ce qui nous remplit de cette paix joyeuse, c’est toujours la certitude d’avoir combattu le bon combat, ces moments où nous avons livré de nous-mêmes. Un chocolat chaud bu après une longue marche dans le froid de la montagne est bien meilleur que le même bu après une journée d’oisiveté au coin du feu, ce n’est pas le fait d’avoir souffert qui rend le repos meilleur, mais le fait d’avoir combattu qui donne à la paix son goût authentique.
La vie est un combat. Nous le savons mais notre plus grande difficulté est d’entrer dans ce combat. A l’heure de se mettre au travail, nous savons bien que nous serons plus heureux le soir même si nous avons accompli nos tâches du jour et pourtant, il est tellement dur de s’y mettre. Où puiserons-nous le courage ? Même si vous n’avez pas d’argent, venez acheter et consommer, venez acheter du vin et du lait sans argent, sans rien payer. Pourquoi dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas, vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ? Nous n’avons rien eu à faire pour être sauvés. Notre identité de chrétien n’est pas quelque chose à conquérir, c’est un don qui nous est fait au baptême. Ce baptême nous a été donné sans condition et sans que nous n’ayons à nous battre pour l’obtenir, il n’est pas le prix d’un concours ou la récompense d’un examen réussi, Dieu nous a donné son salut, il fait pleuvoir sur nous en abondance l’eau de sa grâce. C’est tellement vrai que nul ne peut se baptiser lui-même. La seule disposition qui soit demandée au catéchumène, c’est d’accepter de tout recevoir, le Christ a d’ailleurs voulu se remettre entre les mains de Jean-Baptiste pour nous montrer ce chemin. Comme le regard d’amour que la mère pose sur son fils dit : « Je t’ai donné la vie et j’ai confiance en toi » et lui donne le courage d’aller de l’avant, le regard que le Père a posé sur nous au jour de notre baptême en nous donnant la vie et en disant : « tu es mon fils bien-aimé, tu es ma fille bien-aimée, en toi je trouve ma joie », fonde notre existence. Je tiens comme une grande grâce d’avoir été baptisé petit enfant, cela me rappelle que l’amour de Dieu m’a précédé alors même que j’étais encore incapable d’y répondre ; mais quel que soit l’âge auquel nous avons été baptisés, c’est ce même amour qui est venu vers nous et nous a donné la vie. Voilà qui est enfin reposant d’un repos bien meilleur que ceux que nous avons pu conquérir dans les combats de cette vie, une paix qu’il nous suffit d’accueillir sans qu’aucune lutte soit nécessaire et mieux encore, une paix qui nous donne de traverser vaillamment ce qu’il reste de combat ici-bas.
La grande surprise du baptême de Jésus, c’est que le ciel se déchire déjà, avant même que la lutte ait été menée. Que le ciel se déchire à la croix, c’est presque normal – il avait bien lutté pour cela. Mais que le ciel se déchire au baptême, au tout début de l’évangile, voilà qui est étonnant. C’est le chocolat chaud avant la marche en montagne ! Dans le baptême de Jésus, le Père manifeste son amour pour le fils alors même que ce dernier n’a encore rien accompli, qu’il n’a pas fait de miracles, qu’il n’a pas prêché la bonne nouvelle, qu’il n’a pas converti les pécheurs. C’est cette déclaration d’amour inconditionnelle qui donnera à Jésus la force d’aller jusqu’à la Croix. Dans notre propre baptême, Dieu se donne à nous sans condition, Dieu nous aime avant tout et gratuitement. Sans attendre que nous soyons sages, parfaits, responsables, généreux ou courageux, Dieu nous regarde comme ceux en qui il trouve sa joie. C’est cet amour qui fonde notre vie et nous donnera de prêcher la bonne nouvelle, de convertir les pécheurs, de faire des miracles et d’être saints. Amen.
Saint-Michel – 11 janvier 2015