Bisou magique

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Se réalise la bienheureuse espérance.

Qu’est-ce qui nous donnera le bonheur et la joie au milieu des épreuves de ce monde ? Vers quoi, vers qui nous tourner lorsque nous sommes dans la peine ? Enfants, nous avions nos parents. Ils nous semblaient tout-puissants à nous extraire du malheur, c’est dans leurs bras que nous plongions lorsque nous avions de la peine. Très jeunes, nous les savions déjà imparfaits, pourtant nous leur reconnaissions un pouvoir magique : ils pouvaient transformer nos douleurs en joie. Tels des alchimistes, ils convertissaient par leur présence nos tourments en consolation. Alors, nous leur disions simplement nos peines et nous jetions nos chagrins dans la chaleur de leurs bras. Auprès d’eux, nous ne retenions rien de nos larmes afin que notre détresse se métamorphose, par leur amour, en bonheur. Petits-enfants, nous tenant contre notre mère, nous avons vu nos sanglots se transformer en sourire ; écoutant les mots d’encouragement que nous offrait notre père, nous avons reçu la force de continuer à vivre alors que notre courage chancelait. Être tout contre son père, entendre la voix aimante de sa mère sont parmi les médicaments les plus efficaces qui existent contre les peines de l’âme – et même contre les souffrances du corps, car les coups reçus sont plus supportables quand une mère vient déposer le baume miraculeux d’un « baiser magique » sur la contusion.

Et puis nous avons grandi et le charme s’est rompu : nous avons découvert qu’il nous faudrait vivre sans la magie quotidienne de leur présence, soit que nous ayons été séparés d’eux par les circonstances de la vie, soit que la mort les ait frappés plus vite que nous ne l’aurions voulu, soit – et c’est le plus fréquent – que nous ayons découvert les limites de leur puissance alors même que nous devenions de moins en moins capables de leur confier les peines qui nous habitaient. Au mieux, nos parents sont restés de solides appuis, cependant ils ont perdu petit à petit ce pouvoir fantastique d’éloigner de nous les corbeaux noirs de l’angoisse et les orages de la détresse, tandis que nous mûrissions en apprenant à affronter seuls la vie et ses épreuves.

La jeunesse croit à juste titre qu’elle peut beaucoup mais elle se trompe parfois en croyant qu’elle peut tout. Un temps nous avons pu penser que nous avions reçu à notre tour ces pouvoirs et que nous pourrions par nous-mêmes résister aux tempêtes ; nous avons imaginé que, puisque nos parents n’étaient plus là pour être notre force, nous serions forts à leur place. Pendant un moment, nous avons peut-être eu l’énergie de tenir dans les épreuves, mais une vague plus haute que les autres ou bien simplement un coup supplémentaire, peut-être même moins fort que les autres, mais faisant déborder tout ce que nous avions réussi à contenir jusque-là, a suffi à démolir notre château intérieur. Et si nous n’avions pas trouvé cette force en nous, nous avons pu la chercher en un autre, une âme sœur en laquelle nous avions espéré trouver la consolation ; mais nous avons un jour découvert que cet autre que nous aimions avait lui-même ses blessures, et que nous étions comme deux blessés à la recherche d’un médecin, que nous ne pouvions ni guérir, ni être guéri. Nous nous sommes alors retrouvés infiniment seuls, à mille lieues de l’asile qu’avaient été le cœur de notre mère, les bras de notre père. Que cela se produise soudainement ou bien que nous le découvrions petit à petit, il vient un moment où nous découvrons notre solitude. Nous sommes sans doute aimés et nous aimons nos proches, mais aucun d’eux ne semble à même de combler nos cœurs ; car nos cœurs veulent être aimés d’un amour sans défaut qui dépose en eux le baiser miraculeux, seul à même de les guérir de toute détresse.

Nous pouvons penser que cet amour n’est pas de ce monde. C’était vrai jusqu’à cette nuit où Dieu voulut être de ce monde pour nous embrasser de cet amour-là. L’enfant qui naît sous l’étoile de ce soir n’a pas tant besoin de nos baisers que nous avons soif des siens. Il est celui qui vient nous prendre contre lui, il vient nous dire les mots qui nous rendront l’espérance et la joie. Présentons-lui donc nos douleurs, disons-lui nos désespoirs avec la simplicité des enfants, venons faire couler devant la crèche les larmes de nos souffrances pour qu’il puisse nous prendre dans ses bras, partager nos peines et les transformer en joie par son amour. Amen.

Saint-Michel – 24 décembre 2014

Messe de la nuit de Noël pour les familles