Rien n’est impossible à Dieu.
Les vérités les plus importantes de nos vies risquent toujours de s’user sous les coups répétés de l’habitude. Nous avons sans doute un jour été marqués par la grandeur de la venue de Dieu parmi nous, la perception de ce Tout-Puissant se faisant tout-petit a pu frapper notre imagination, notre esprit et notre cœur, cette impression finit toujours par s’estomper si nous ne l’approfondissons pas. On n’aime pas forcément plus l’ami qui habite en Australie que celui qui habite l’immeuble d’à côté, pourtant on accueille avec plus d’égards celui qui vient de loin, tandis qu’on reçoit le familier sans jamais mettre les petits plats dans les grands. Le Fils s’est fait tellement proche qu’on peut finir par ne plus l’accueillir qu’avec un plat de nouilles, et le jour de Noël, un plat de nouilles c’est triste, d’autant qu’en ce jour il vient de très loin. Ensemble, nous allons tenter de mesurer un peu la distance qu’il franchit pour laisser grandir en nous le désir de sa venue.
La première distance entre lui et nous, c’est qu’il est notre créateur. Il nous a non seulement créés mais il nous crée à tout instant. Un cordon ombilical invisible nous relie à lui en permanence, il désire sans cesse que je sois sans quoi je tomberais dans le néant. Non seulement nous, mais tout ce qui est, reçoit de lui l’existence, tout vivant qui respire reçoit de lui la vie. Or, ce créateur vient se faire dépendant de sa propre créature. Cette affaire pose un problème logique insoluble ! Marie reçoit de lui la vie, et il se fait petit être dans son sein recevant d’elle la croissance. Il est déjà celui qu’elle enfante sans cesser d’être celui qui la crée. Cette chair faite de sa chair, c’est celui qui l’a faite. Elle l’adore comme son Dieu, il l’aime comme sa mère. Nous disons cela sans bien savoir ce que nous disons car nos esprits devraient en être vrillés. Nous nous approchons de la crèche en trouvant cela mignon et c’est certes très mignon, mais c’est en même temps complétement étourdissant de croire que ce petit chou d’enfant puisse être celui par qui la terre tourne, les plantes croissent et nos cœurs battent. Ce petit Jésus que nous prenons affectueusement dans nos bras, c’est bien plutôt lui qui nous tient contre son cœur comme ses enfants bien-aimés. Les anges chantant la gloire de Dieu, l’étoile placée au-dessus de la crèche, les mages venus de loin nous rappellent que cette scène bucolique est d’un enjeu cosmique. Le sort du monde se joue dans le sein de cette jeune galiléenne.
Un autre aspect de la distance qui nous sépare de lui tient en sa pure bonté. Il n’est pas venu sur la terre pour se distraire ou voir du pays. Il est venu pour nous chercher. Il faut peut-être avoir voulu se réconcilier avec quelqu’un qui ne voulait pas pardonner ou bien avoir voulu sauver quelqu’un qui s’égarait pour commencer à imaginer ce que cela signifie. Comment fait-on lorsqu’une personne aimée, un membre de notre famille s’éloigne et coupe les ponts ? Comment pouvons-nous franchir cette distance insurmontable qui s’établit entre elle et nous ? Tout semble maladroit. Nous essayons de nous rapprocher de l’autre par nos paroles mais souvent elles ne font que l’éloigner davantage. Nous voudrions avoir la clef. Nous voudrions trouver le moyen de franchir cet abîme qui nous sépare, connaître sa douleur pour pouvoir mieux la guérir, lui montrer combien nous l’aimons et qu’il n’a rien à craindre de nous, lui donner un peu de notre courage pour l’aider à traverser les épreuves. C’est ce que fait le Fils en s’incarnant. Il s’approche de ceux qui sont devenus incapables de le recevoir pour partager leur maladie et les guérir.
C’est un troisième aspect de la distance qu’il franchit : il vient chez ceux qui ne savent pas le recevoir. Il nous semble bien souvent que Dieu est loin, qu’il n’est pas là, que nous lançons des appels dans le brouillard et qu’il ne vient pas éclairer notre nuit. La vérité est bien plutôt que nous ne pouvons pas le recevoir. Nous voudrions bien pourtant. Il vient dans une crèche, il vient comme le plus proche, cet enfant qui nous tend les bras, et nos cœurs en restent froids. Certes nous nous attendrissons sa naissance dans la crèche nous donne un peu d’émotion mais elle nous change si peu en profondeur. Nous voulons que nos âmes se réchauffent, nous voulons pleurer à son approche, nous voulons vivre un Noël plein de la joie profonde de sa naissance, alors demandons-lui de nous transpercer l’âme de sa venue, demandons-lui que sa naissance ne soit pas simplement la commémoration d’un événement lointain mais qu’elle se produise une nouvelle fois en nos cœurs. Demandons-lui jusqu’au 25, redisons-lui tous les jours et à chaque heure du jour : Viens Seigneur Jésus ! Amen.
Saint-Michel – 21 décembre 2014
4ème dimanche de l’Avent