Sortie de prison

Saint-Michel – 14 décembre 2014

3ème dimanche de l’Avent

Il m’a envoyé proclamer aux captifs leur délivrance

Nous sommes à l’aube d’un nouveau jour. Un avènement est en train de se produire. Comme la Vierge Marie à quelques jours de son accouchement, le monde que nous connaissons est sur le point de donner naissance à une création nouvelle. Les textes de ce dimanche nous placent dans ce moment : quelque chose va se passer, déjà il advient. Nous sommes là, au seuil de notre prison, nous ne l’avons pas franchi et pourtant, nous respirons déjà l’air de liberté qui nous vient de l’autre côté. Ce parfum qui nous parvient fait notre espérance.

Soyez toujours joyeux, dit Saint Paul, mais il ne s’agit pas de se mentir : on ne peut pas dire que tout aille pour le mieux et dans le domaine de la joie, la méthode Coué fonctionne assez mal. Il ne suffit pas de répéter : Dieu nous aime, tout va très bien, pour que cela change quoi que ce soit à la réalité. On peut toujours arborer un sourire de façade, cela ne garantit absolument pas la naissance du moindre atome de joie dans notre cœur. Entrer dans cette joie est un acte intérieur qui commence avec la reconnaissance de notre situation. Imaginez un prisonnier qui se trompe lui-même en prétendant qu’il est libre pour moins souffrir de son enfermement. Il n’attend plus sa libération véritable, parce qu’il se refuse à voir sa séquestration. Il tue donc en lui le désir de liberté et il y étouffe toute possibilité d’espérance. Nous ne pouvons être consolés que si nous pleurons ; nous ne pouvons être sauvés que si nous avons soif du salut, et nous n’en aurons soif que si nous percevons combien nous sommes perdus.

Non, tout ne va pas très bien. Que ne se taise jamais en nous la soif de davantage ! Les chrétiens sont d’éternels insatisfaits, ils ne cessent de proclamer à temps et à contretemps que nous ne sommes pas encore au niveau pour lequel le Seigneur nous a créés. C’est ce que dit Jean-Baptiste, « La voix qui crie dans le désert : redressez le chemin du Seigneur. » C’est donc qu’il y a quelque chose à redresser. Nous traversons parfois des drames et ces circonstances de la vie se chargent de nous le rappeler ; mais il y a aussi les moments où tout va bien et alors, si nous écoutons notre cœur, nous y trouverons une blessure, une faim de toujours-plus qui nous dit que rien sur cette terre ne pourra nous combler. Il suffit d’ailleurs de regarder autour de nous pour être frustrés. Qu’y voyons-nous ? Des pauvres qui souffrent du froid dans la rue, l’injustice qui broie les plus faibles, l’impuissance d’une bureaucratie administrative sans visage et, par-dessus tout cela, la soi-disant innocence proclamée de tous. Cette dernière est sans doute le pire : à la sortie de l’église, à la machine à café du bureau, au supermarché tous s’accordent pour dire que nos organisations vont mal, mais nul ne s’en reconnaît responsable. Nous voyons la gravité de notre situation mais nous ne savons pas ce que nous pourrions faire pour changer les choses, la tâche semble hors de portée, nous n’avons pas le courage de l’entamer. Nous voilà prisonniers d’une grande machinerie qui nous écrase.

Le Seigneur m’a envoyé proclamer aux captifs la délivrance. Du fond de cette prison, nous entendons une voix : celle du prophète. Il annonce que la liberté germe déjà. Il y a bien sûr un acte de foi dans l’écoute de cette voix. Si, chrétiens, nous sommes insatisfaits, nous ne sommes pas résignés parce que nous avons goûté à la parole des prophètes ; nous croyons que Dieu fait du neuf. Cet acte de foi n’est pas un pur saut dans le vide, nous voyons effectivement la terre commencer à se craqueler. Depuis que l’Innocent a été mis à mort sur une croix, les barreaux de l’injustice peinent à garder leurs captifs. On entend parfois que la mort du Christ n’a rien changé de concret : c’est faux. Certes, le mal n’a pas encore disparu, pourtant, voilà deux mille ans que des chrétiens, saints et pécheurs, renversent l’ordre des choses au nom de leur foi et agissent suivant des schémas qui échappent aux vues humaines : en donnant leur vie pour les autres sans rien attendre en retour, en étant fidèles dans le mariage quoi qu’il en coûte, en refusant de suivre les sirènes de l’ambition, etc. Heureusement, nous n’avons pas le monopole de ces qualités, d’autres font du bien. Mais malheureusement, nous chrétiens vivons parfois en-dessous de cette vocation. Pourtant, lorsque sort de notre bouche une parole de vérité qui vient dénoncer une organisation fondée sur un abus ou lorsque jaillit de nous le don gratuit d’une journée, d’une heure ou d’une minute pour les autres, nous savons que c’est le Christ qui le fait en nous, c’est lui qui déjà fait resplendir le manteau de justice et les vêtements du salut dont il nous a revêtus au baptême. Il continue ainsi l’œuvre inaugurée par sa venue, œuvre qu’annonçait Jean, œuvre qui s’achèvera au jour dernier, lorsque l’injustice sera définitivement morte. Alors la libération définitive nous comblera de joie. Amen.